mercredi 4 août 2021

04-août-2021

 Hier soir, je ne voulais qu’une chose. Dormir. Juste dormir. 

Ne pas penser. Ne pas sentir.

Ne pas penser à demain, à aujourd’hui. Ne pas sentir la chaleur moite du mois d’août.

Ne pas penser aux rues sombres depuis que tout ce qui a trait au collectif implose et que les réverbères éteints ressemblent à des potences inaccessibles. Ne pas sentir l’odeur des générateurs qui carburent plus de 20 heures par jour, le plus souvent sans filtres, et qui, ce faisant, tapissent d’une multitude de particules noires visibles à l’œil nu ma table, mon lit, mes poumons, ceux des gens que j’aime, et jusque les feuilles de mes citronniers, et qui font peser sur le ciel de ma ville une chape jaune-grisâtre d’une tristesse indéfinissable.

Ne surtout pas penser à ce que le terme « Responsabilité » veut dire. Wikipedia, citant le Dictionnaire de l’Académie française (en ligne), le décline pourtant en 34 langues : 

« La responsabilité est l'obligation qu’a une personne de répondre de ses actes, de les assumer, d’en supporter les conséquences du fait de sa charge, de sa position ». 

Je clique sur le mot « Obligation » : 

« (…) l'obligation décrit une situation où on n'a pas le droit de ne pas faire quelque chose ».

Moralement, s’entend. 

Lire ces mots et ne surtout pas sentir, une fois de plus, ce nœud instantané à l’estomac, ce nœud qui ressemble plutôt à un coup de poing, asséné à chaque fois avec une telle puissance que se serrent simultanément la gorge, la mâchoire et les sphincters, et que le pouls s’accélère. La rage. Et que fait-on face à l’irresponsabilité d’un.e.s « responsable.s » protégé.e.s par une poignée d’hommes (parce que ce sont tous des hommes) armés et prêts à tuer en assumant toute leur irresponsabilité et celle de ces quelques un.e.s qui font et défont les cours de nos vies, non pas comme une hypothèse mais comme une réalité avérée, hier, aujourd’hui et, non pas potentiellement mais certainement, encore demain et pour une durée indéterminée ? Que fait-on de la rage que cette irresponsabilité suscite ? On tourne la page et on s’en va, comme tant d’autres, comme depuis toujours, pour grossir les rangs de la plus grosse diaspora du monde ? On cherche la protection auprès de quiconque qui soit en mesure de l’assurer, comme beaucoup ? On subit, en silence ? On rend justice par soi-même, comme certains, parce que c’est le seul exutoire possible ? On dénonce sans cesse, on discute et on s’obstine à soutenir des processus pacifiques, électoraux et judiciaires, à l’issue incertaine, en sachant qu’ils prendront des années et que, pendant ces années, la dure réalité sera le quotidien, à chercher de l’électricité, de l’eau, des médicaments, de l’équité, de la justice, de petits plaisirs volés au temps ? On s’obstine en acceptant l’état de fait d’aujourd’hui et d’hier mais en cherchant tous les moyens pour construire un lendemain peut-être un tant soit peu différent, au risque de se déconstruire plutôt que de construire quoi que ce soit, au risque de vivre mal, engagé et enragé, pour vieillir mal, déçu et même pas consolé ? Pour quoi ? Pour qui ?

Vieux débat(s). 

Hier soir, je voulais juste dormir. Ne plus penser à nos années de travail réduites à néant dans des comptes en banques captifs de pseudo « responsables ». Ne plus sentir de la peine à voir les autres, ailleurs, sourire du fond du cœur. Ne plus penser, en regardant nos propres sourires d’avant, que nous avons perdu notre légèreté et notre bonheur. Ne plus sentir que quelque chose de fondamental a changé. Qu’il y a un avant et un après le 4 août 2020.

Parce qu’il faut l’avouer. Il y a un avant et un après le 4 août 2020. 

Il y aura aussi un avant et un après la minute de silence du 4 août 2021, 6h07.

A quoi ressemblera l’après, je ne sais pas. Mais j’y serai. J’y serai pour faire ma part. Parce que j'en ai l’envie et la force. J’y serai pour écrire l’avenir, mon avenir, notre avenir, avec mes concitoyens. Qu’ils pensent comme moi ou différemment. Notre avenir, par la force des choses, sera commun. 

Je le souhaite et je le veux plus responsable. Juste plus responsable.

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