mardi 20 février 2007

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7:47 - RFI : 66 morts ce matin, dans un attentat...
7:47 - Je n'ai pas encore ouvert les yeux que mes pensées s'emballent. Je n'ai pas encore la force de bouger. Je retiens mon souffle. Bagdad, Gaza, Kaboul, Teheran, Tel Aviv, Karachi, Bali, Bastia... Beyrouth (non, pas Beyrouth)... ? La voix de la présentatrice est monocorde : j'exclus les grandes villes du monde occidental.
7:47 - RFI : ... dans un attentat en Inde.
7:47 - Je n'ai toujours pas ouvert les yeux. Je n'ai pas remué le moindre muscle. Mais je me sens plus détendue. Je respire.
7:47 - Je me reproche mon propre sentiment de soulagement. Je m'en veux de penser que c'est loin, et de me sentir moins concernée. Je pense à ces millions d'indiens qui ont appris la nouvelle en même temps que moi, et qui en ressentent inquiétude, dégoût, abattement, colère, soif de vengeance ou tout à la fois. Je me demande s'ils préfèreraient une explosion entre Bickfaya et Beyrouth plutôt qu'entre Delhi et Lahore. Je me demande si je leur en tiendrais rigueur. J'hésite. La journée n'a pas encore commencé que je soupire.
Et pourtant, demain, je ne changerai pas mon mode de réveil.

mercredi 14 février 2007

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7:47 - Réveil lent et laborieux. RFI : troubles en Guinée-Conakry.
8:47 - Sur mon écran d'ordinateur, 9 nouveaux messages et 3 fenêtres msn qui clignotent.
8:48 - Connexion cervicale synaptique : "Bus explosion in Bickfaya".
Incrédulité. Désespoir. Révolte. Télé. LBC. Future. Al Jazeera. Euronews. Mute. Boulot. Déconcentration. Relents de révolte. Nausée. Boulot. Questionnement. Qui ? Pourquoi ? Jusqu'à quand ? Boulot. Agitation. Rage. Impuissance. Boulot. Derrière un bus défoncé, images d'un pin parasol sous la pluie. Odeurs imaginaires de terre mouillée. Nostalgie. Boulot. Images d'hôpitaux, caméra dans les chambres. Agacement. Rêves en bleu de la mer et du ciel vus de Bhannes. Boulot. 1 égyptien + 2 libanais, morts. Envie de crier. Rêves de lendemains meilleurs. Boulot. Construction. Déconstruction. Reconstruction. Boulot. Boulot, boulot, boulot. Oubli.
19h57 - Oublié de regarder le 20h libanais.
20h - Rien sur France 2. Euronews. Joli résumé de la situation. Aucune mention des noeuds dans l'estomac de milliers de téléspectateurs.

mercredi 7 février 2007

From Cairo to Paris

Il est des choses auxquelles on ne s'habitue pas.
Ce matin, le robinet de ma baignoire parisienne ne dispensait pas d'eau chaude. J'ai ri de mon propre étonnement, en pensant à tous ces matins où, au Caire, je pestais contre la direction de l'hôtel en constatant que l'eau n'était que vaguement tiède. Je n'étais pas trop surprise et, sachant mon départ proche, je n'avais pas songé à protester du haut de ma chambre 817. A mon retour, j'avais toutefois savouré une longue douche bien chaude, de celles qui remplissent l'espace de vapeur, voilant les miroirs et transformant de facto ma salle de bain en un petit sauna. Mais ce matin, j'ai dû accomplir, et pour la première fois depuis très longtemps, un rituel que j'avais presque oublié. Ce matin, j'ai chauffé plusieurs fois de l'eau, au moyen de ma petite bouilloire (1L à chaque fois). J'ai ainsi rempli une petite bassine d'eau bouillante, que j'ai mélangée avec celle, toujours bien froide, du robinet. Je me suis douchée à l'aide d'un mug, en regrettant la logistique de toilette bien plus perfectionnée, en vigueur à Beyrouth pendant la guerre (d'avant). Lorsque nous manquions d'eau et de courant, nous faisions alors chauffer plusieurs litres d'eau, en simultané sur le butagaz. Les bassines que nous utilisions étaient immenses, pouvant contenir plus d'une dizaine de litres : ainsi, ces douches dans la semi-pénombre, à défaut d'être ergonomiques, semblaient tout du moins généreuses. Mais je n'avais jamais réussi à m'habituer aux cheveux que l'on lave sous le robinet du lavabo, abandonnant avec joie cette pratique dès la fin de la guerre. J'ai pourtant dû m'y résoudre à nouveau aujourd'hui, maudissant la panne qui me conduisait à ré-adopter une posture aussi inconfortable. J'ai souhaité avoir, comme à Beyrouth, des amis proches chez qui je puisse aller me doucher normalement, intégralement et en une seule étape.

Samedi, il faisait entièrement bleu au-dessus de Paris : le ciel était sans nuages et le fond de l'air glacial. Pendant plusieurs heures, j'ai sillonné les rues de ma ville-lumière, pédalant doucement sous le soleil d'hiver. A mon retour du Caire, mon vélo m'attendait encore, attaché au même endroit que d'habitude, un peu plus rouillé que la veille, mais sans doute moins que le lendemain. En me baladant, j'ai particulièrement apprécié la lumière du jour, par opposition à celle qui avait caractérisé mon séjour en Egypte : la semaine dernière, le ciel n'était pas bleu. Il n'était pas gris non plus. Tous les matins, en me réveillant, j'ouvrais les rideaux de ma chambre, profitant de la vue du Nil et de l'immensité du Caire qui s'étalait sous mes yeux. Je ressentais pourtant un certain malaise, dont j'ai identifié la cause au bout de quelques jours. Il y avait un détail tout à fait inhabituel dans ce beau panorama : le ciel en face de ma fenêtre était intégralement blanc. Blanc et brillant. Le plus souvent, il le restait uniquement jusqu'à midi. Quelques fois, il restait ainsi voilé jusqu'à la tombée de la nuit : en marchant dans les rues du Caire, je trouvais étrange de n'être accompagnée d'aucune ombre.

En comparaison à mes dix derniers jours, ce samedi après-midi à Paris m'a paru d'une tranquillité délicieuse. C'est en me faisant cette réflexion que, slalomant entre voitures, piétons et rollers sur les pavés de la Concorde, j'ai mesuré toute l'ampleur de la densité humaine du Caire. J'ai contemplé l'obélisque et son chapeau pointu, en m'interrogeant sur la pertinence du débat autour de sa restitution à l'Egypte : là-bas, les trésors immenses de la civilisation pharaonique me sont apparus inexploités et mal entretenus. Moi, j'avais longtemps rêvé de la grandeur du Caire : j'ai lu et relu la biographie d'Oum Koulthoum, dont chaque taxi, là-bas, dispose d'une cassette ; j'ai souvent admiré Nasser d'avoir rendu aux égyptiens ce qui leur appartenait ; j'ai même attribué l'impossibilité de trouver L'impasse des deux palais de Mahfouz en v.o. à la rupture de stock d'un best-seller. J'avais la tête pleine d'images d'une Egypte grandiose, réellement Oum ed-Dounia. Je ne m'attendais pas à rencontrer la pauvreté de l'Egypte du XXIe siècle.
Là-bas, on construit avec des briques. Beaucoup de vieux bâtiments, comme le désormais célèbre Immeuble Yacoubian, m'ont fait penser à Beyrouth. J'étais étonnée de constater qu'une architecture aussi similaire puisse se concevoir avec des matériaux de base aussi différents que leur brique rouge et notre pierre jaune. Cette dernière nôtre a cédé la place au parpaing, tandis que partout, dans le Greater Cairo, on bâtit encore avec de la brique. J'ai presque envié la misère du Caire qui empêche encore toute spéculation immobilière, même si les premières tours, dans le pur style dubaïotte, commencent à émerger sur les bords du Nil. Voici une vieille image du Caire, envoyée par une amie depuis Zabi. En la postant, je prie pour la préservation des balcons suspendus de Gemmayzé.

06.02.07 - 22h20. Métro Montparnasse Bienvenüe. Je descends les escaliers après avoir regardé les affiches des films du moment. Je rêve déjà de me retrouver devant mon ordinateur et de me connecter au monde. Peut-être de finir un post. Au bas des escaliers, je suis ramenée à mon ici-maintenant par une femme qui se balance doucement. Elle tient un carton blanc sur lequel il est marqué, au feutre noir et en majuscules :
"J'AI HONTE MAIS J'AI FAIM"
Je poursuis mon chemin le temps de retirer une pièce de ma poche, puis je reviens sur mes pas. Dans ma vague de voyageurs, personne d'autre ne s'est arrêté.

Il est décidément des choses auxquelles je ne m'habitue pas.