mercredi 31 janvier 2007

30 on the 30th @ Cairo

Ce soir, j'ai reçu un cadeau magnifique : celui d'un dîner inattendu avec une amie, une soeur. Pendant tout le repas, je n'ai pas pu me départir d'un sourire radieux.
J'avais mis à profit la journée pour étudier de près les taxis du Caire, ces vieilles voitures noires, peintes en blanc au-dessus de chacune des roues, et toujours déglinguées. A l'intérieur, le plus souvent, on retrouve un compteur antique, tantôt anglais (Taxi BB Tariff in Pounds) et tantôt français (Taximètre Prix à Payer Francs Centimes), mais jamais fonctionnel. Pendant 10 jours, à chaque fois que j'ai ouvert la porte pour m'installer sur le siège avant du taxi, je me suis étonnée du fait que le tacot puisse encore rouler. La nuit, ces carrosses cabossés roulent tous feux éteints, et font de grands appels de phares en fonçant sur les piétons.
Me souvenant de la vieille 504 de mon grand-oncle, j'ai choisi aujourd'hui de n'arrêter que ces voitures-là, espérant y retrouver le cuir piqué et son odeur si caractéristique. J'ai donc refusé toutes les Fiat (128, 131, etc.), Renault (12), Sahin (made in Egypte) et Lada, ignorant superbement les klaxons des uns et des autres pour choisir de héler la Peugeot aux formes rondes.

Mes trajets en taxi durent 10 à 25 minutes et coûtent 5 à 7 g'nées (جنيه), ie au plus 1€. J'en profite généralement pour tenter de comprendre cette ville gigantesque, qui contient à elle seule près de 4 fois plus d'habitants que l'ensemble du Liban. J'admire les mosquées et les caravansérails que nous croisons en chemin. Je suis amusée de voir une rue porter le nom de Kitkat, que je perçois comme l'équivalent égyptien du "Cola" libanais (les grandes marques internationales marquent ainsi l'espace public, et leur trace subsiste encore longtemps après la disparition de tout symbole de la marque elle-même - usine, magasin, affiche, etc.). Mais j'oscille surtout entre amusement et incrédulité face à la masse grouillante, circulant de la façon la plus anarchique qui soit dans les rues de la ville. Ici, des moyens de transport de toutes les époques se côtoient sur le bitume. On y trouve évidemment un flot continu de voitures, camions, bus et véhicules motorisés de tout genre, 24h/24. On y croise aussi très souvent des piétons en vadrouille, qui traverseraient une ruelle étroite avec autant de flegme qu'une avenue à 8 voies. Les automobilistes slaloment entre ces obstacles humains improvisés et des véhicules plus imposants, protestant régulièrement au moyen de petits coups de klaxon intempestifs : de façon générale, ils préfèrent nettement au frein les coups de volant à gauche ou les glissements subtils à droite. Quant aux piétons, nombre d'entre eux canalisent la circulation du bout de la main, sommant untel de s'arrêter et pressant cet autre d'avancer. Pour l'avoir moi-même expérimenté quelques fois, l'exercice s'avère finalement plus dangereux que simple. En sus, de temps en temps, et au milieu de tout ce tohu-bohu, on retrouve soit une charrette de foin tirée par un âne, soit encore des calèches à touristes tirées par un cheval.
Observer la rue du Caire est décidément une activité fascinante.
Moi, après une excellente soirée d'anniversaire, j'aimerais partager avec mes amis ce Polichinelle de Picasso :

jeudi 25 janvier 2007

Hi, ezzayak...? Ca va pas!

Mes derniers posts, rédigés depuis Beyrouth, s'intitulaient Xmas, Adha & New Year's @ Beirut and a day @ Jbeil. Ils sont tous restés à l'état de brouillon, aussi inachevés que le printemps de mon pays.


Du Caire, ma vision des derniers "événements" se limite aux Actualités de Google, à quelques textos en provenance de Beyrouth et à la sollicitude de certains de mes interlocuteurs égyptiens. Ici, Beyrouth semble en faire rêver plus d'un. Et moi, pour quelques jours à Masr, Oum el Dounia (ie, Egypte, mère du monde), je ne ressens nul besoin de découvrir la ville tant elle me semble familière. En rentrant le soir, j'ai l'impression qu'il suffirait de rouler quelques minutes de plus pour arriver à la maison.

Depuis mardi pourtant, je lutte contre une angoisse sourde, comme une envie de pleurer mon pays, ses galets encore pétrolés et ses murs tantôt criblés de balles, tantôt flambants neufs. Voilà déjà un mois que je refuse de regarder le JT, d'écouter la radio ou de lire un journal, de quelque couleur qu'il soit. Pour mieux transcender (ou fuir ?) la réalité, j'ai également évité les bars, ces mêmes bars de Gemmayzé et de Hamra qui me servaient de refuge quelques mois plus tôt, et qui ont abrité pendant 10 jours de jeunes libanais venus du monde entier. Pour éviter d'entendre les mêmes polémiques sans les toucher du doigt, j'ai été me mêler aux campeurs du centre-ville. La première fois, je n'y ai vu qu'une immense fête populaire, des enfants qui jouent, de la musique sous les tentes et des posters des différents leaders.
Il y avait aussi des vendeurs de narguilé et des marchands de ka3k (galette nationale au sésame), de ces ka3ks au fromage réchauffés au charbon que l'on ne trouve habituellement qu'à Tripoli. De jour, l'ambiance était bien moins festive. Sur la route que j'empruntai, un homme légèrement barbu et aux lunettes semi-teintées collectionnait les permis de conduire de tous les véhicules autorisés à pénétrer dans le périmètre du centre-ville. Il était assis sur une simple chaise de bois, devant une table tapissée de documents officiels de la République Libanaise, à deux pas d'un char de l'armée et des barbelés qui ceignaient le campement. Je me suis reproché de lui demander l'autorisation "d'entrer", mais, impressionnée par cet étrange check point, mes mots avaient devancé ma pensée. J'ai aussi remarqué que les barbelés étaient flambant neufs et qu'ils ne comportaient pas des pointes tridimensionnelles acérées à des intervalles réguliers : ils présentaient plutôt une apparence dentelée, comme autant de mini-rasoirs mis bout à bout ; ils m'ont semblé bien moins impressionnants que ceux de mon enfance.

A l'issue de trois semaines de séjour sur le sol libanais, j'avais pris l'avion avec une question que je me suis re-posée aujourd'hui. Je conçois que nous soyons pris au sein d'une tempête sionisto-irano-américano-syro-saoudo-franco-onusienne : mais quel étranger obligeait, mardi, l'un de mes concitoyens à en brutaliser un autre ? Et quelle cause nationale justifie donc la mort d'un libanais de plus ?

En déplacement au Caire, je me moque un peu de ce malaise qui me saisit par moments, en pensant à tous ceux qui ont vécu l'été 2006 à travers les images télévisées, les journaux, les textos, les conversations téléphoniques,
les blogs et autres moyens de communication. Comme eux alors, je m'inquiète un peu pour mes amis. Comme eux, dans une ville trois fois plus peuplée que l'ensemble de mon pays, je me sens démunie.

Ce soir, pour le Liban, c'est 6 à 7 milliards d'euros collectés dans ma ville, et 6 à 7 morts dans mon autre ville. Ce soir, à Beyrouth, le couvre-feu est de vigueur. Et ce même soir, au Caire, je donnerais cher pour m'entendre dire, tout en sourire et en véritable Lebanese Mother Tongue : Hi, kifek, ça va ?