mardi 30 septembre 2008

Les coqs de Mar Mitr

3h46 : quelque part dans la nuit, un coq chante à pleins poumons. Dans le lointain, une deuxième voix semble lui répondre et ils entament ensemble un concert de cocoricos endiablés. Hormis eux, pas un bruit. Pas même le miaulement d'un chat. On dirait bien que personne dans la ville, à part moi, ne semble trouver curieux d'être si matinal. Je me suis baladée en plusieurs aller-retour, d'un balcon à l'autre, et je peux certifier qu'il y a peu de gens qui parcourent les rues d'Ashrafieh, un mardi soir, à cette heure nocturne. J'en conclus que je suis certainement la seule à avoir envie d'en découdre avec un coq qui m'empêche d'aller retrouver le marchand de sable et me fait regretter le doux hiver de Beyrouth, lorsque les vitres sont closes et qu'il fait bon s'endormir, sans craindre le sifflement des moustiques en rase-motte au-dessus du lit ou le chant des coqs des voisins qui déchire la nuit par la fenêtre grande ouverte.

Et dire que, dans deux jours, en fermant les yeux après avoir admiré le dernier scintillement de la tour Eiffel, j'aurai sans doute une pensée affectueuse pour ces coqs citadins, dont on peut se demander à l'issue de quel étrange parcours ils se sont retrouvés à pavaner, j'imagine avec fierté, au milieu d'une cour exiguë, entre un vieil immeuble pittoresque menacé d'une démolition imminente et une tour flambant neuve. Un peu comme les quelques vieux que l'on voit encore jouer à tawlé, assis à l'ombre d'un immense ficus ou au milieu d'un trottoir, indifférents à la frénésie de la ville autour, témoins tranquilles et incongrus d'un temps révolu où Beyrouth devait avoir le charme d'un village de commerçants et d'entrepreneurs, résidant dans des maisons à toit rouge dont le jardin, bordé de bougainvillées, regorgeait de ces arbres fruitiers que l'on découvre aujourd'hui avec surprise, comme un clin d'oeil du passé, dans les dédales des rues peu passantes.

Moi, si j'étais un coq beyrouthin, je penserais avec envie à la fraîcheur de la montagne libanaise en ce début d'automne et pesterais de me contenter de moustiques en guise de vers. Je penserais à la batterie de mes frères élevés à la chaîne dans des contrées lointaines et rêverais de révolution pour mes semblables. Et très certainement que, après avoir picoré mon dîner au son des klaxons et entamé ma nuit à la lueur des rares néons qui éclairent les rues de la ville, je me réveillerais pour apprécier, avec un étonnement un peu émerveillé, le calme précédent la clarté de l'aube. A ce moment très précis, et qu'importent les voisins trop proches, lève-tôts ou couche-tards, je sais que je chanterais également du fond de mon âme, à la fraîcheur de la brise matinale et au scintillement des étoiles au-delà des cimes de béton.

Mes hommages, messieurs les coqs. Et puis bon Eid, si vous le célébrez. C'est l'heure de la prière des uns et du sommeil des autres.

mercredi 24 septembre 2008

Première pluie sur Beyrouth

Invariablement, peu après l'équinoxe d'automne, la température à Beyrouth baisse de 2 ou 3 degrés. L'étouffante humidité du mois d'août cède la place à une chaleur plus légère, quoique encore juste assez enveloppante. Le soleil, toujours généreux, se fait plus timide. Le soir, une petite brise remonte les rues, en provenance de la Méditerranée, faisant bruisser les arbres et les fleurs roses des bougainvilliers. Les touristes partis, la ville retrouve un rythme moins effréné. La mer s'agite et se rafraîchit insensiblement. De Beyrouth jusqu'à Tripoli, elle envoie ses vagues s'écraser bruyamment contre les rochers.

Depuis toujours, aux premiers signes d'un changement de climat, j'attends avec impatience la première pluie qui mouillera le sol assoiffé de ma ville. Je scrute le ciel, déjà un peu plus limpide, tentant de prédire l'avenir des nuages qui s'accumulent en grosses pelotes blanches et grises. Je me réjouis de l'air plus léger et plus clair, que j'aime à considérer comme annonciateur d'un futur plus paisible.

Depuis des années, je suis émerveillée par la première pluie de l'automne beyrouthin. J'adore la surprendre depuis chez moi, en contemplant la maison d'en face et son jardin tout à coup reluisant, après de longs mois poussiéreux et chauds. Mais même lorsqu'elle me surprend, ailleurs dans la ville, je ferme les yeux pour mieux apprécier l'odeur de terre mouillée qui se dégage du sol. C'est un moment de grande délectation et de pur bonheur, peut-être commun à nombre de libanais. Que de fois, exilée à l'étranger, j'ai cru sentir ce parfum indescriptible, mélange de terre fertile et d'eau. Que de fois ai-je souhaité être là, pour assister à cette première pluie et m'en sentir vivifiée, au même titre que mon sol natal.

Pouvoir aujourd'hui, une fois de plus, témoigner du petit miracle que permettent encore les rares espaces verts de Beyrouth, me ravit. Bientôt la rentrée, l'odeur des cahiers neufs et le choix méticuleux de la gomme et des cartouches d'encre... Je revois mon enfance, tranquille malgré la guerre (d'avant) qui faisait rage, et dont, relativement préservée, je ne saisirai le sens tragique que bien plus tard.

A Beyrouth ce soir, je rêve également de pouvoir faire crisser sous les pneus de mon vieux vélo les feuilles mortes qui jonchent les quais et les boulevards de Paris, avant que n'interviennent les équipes de nettoyage de la ville.

C'est l'automne. Une nouvelle année commence. Ni l'année calendaire, ni l'année de l'Hégire, ni même Nourouz. Plutôt l'année qui rassemble tous les écoliers du monde sous un même préau. Celle qu'ils attendent et que, parfois, ils redoutent : l'année scolaire, avec son lot de trajets en autocar, de surveillants à la voix muante et de notes de tout genre. L'automne, c'est aussi et surtout ça. Moi, toujours bercée par ce rythme annuel, je me demande comment les enfants, devenus adultes, en arrivent à oublier ce qui les a unis si fort.

Mais en attendant une improbable réponse et les résultats du dialogue national libanais, c'est avec sérénité et bonheur que je me prépare à entamer 2008/2009...