mercredi 20 décembre 2006

Back from nowhere

J'ignore moi-même pourquoi je n'ai rien écrit ces deux (presque trois) dernières semaines. Pourtant, l'envie, les événements et les mots étaient bien là.
Peut-être que j'avais mal pour mon pays. Peut-être que je souffrais de cette déchirure qui, en se propageant, s'est mise à toucher mes amis. Peut-être surtout que je ne comprenais pas la division du Liban telle que me la retransmettaient les médias. Le texte d'un ami, il y a quelques jours, m'a permis de renouer avec la foi profonde que j'ai en la diversité de mon pays. A la fin de sa lecture, je me suis retrouvée sereine, à chantonner : "Hey Jude, don't make it bad...". Et j'ai commencé ce post. Ce texte, je le retranscris ici.
Log Sunday, 03 December 2006
If there ever was an absolute truth about Lebanon, it must be the beautiful weather. We barely have a winter and when the heat becomes stifling you can climb up the mountains, soaring like an eagle in search of freedom.
And this morning, I saw the Marathon runners pass by under the severe stare of an FSI, all clad in his shiny armour, with enough ammunition to blow Robocop. The young interior ministry man must have been wondering why they got him up at this unearthly hour to watch some lunatics run aimlessly round the city. He could not identify an immediate threat; these people were half dressed and could not conceal anything. He should have stayed home, gently rising to a day of enjoyment and especially the gigantic lunch that is bound to follow, huddled with his fellow countrymen in some overcrowded restaurant. Yet, as the day unfolds, he will be thinking about those runners and what it means. He will be pondering on the virtues of co-existence and conviviality. A smile will come on his face.
Where on earth can you have, in the space of one square mile, a crowd laying siege to the executive power, social drifters sipping cappuccinos nearby at Paul and enthusiastic sportsmen and women squeezing their lungs dry? Yes, they are all seeking a truth, hoping to make a difference; probably humanity’s best trivial pursuit. And it will dawn on him, that after all, we’re all marathon runners.
De Bamako, je suis rentrée avec des images, des couleurs et de la pauvreté plein la tête. Mais je garde aussi un souvenir particulièrement tranquille de mes premiers instants de calme à l'African Grill du Musée National. En attendant mes brochettes de capitaine (poisson blanc du Niger) que j'ai choisies accompagnées d'alokos (bananes plantains), j'avais pris quelques notes des choses les plus marquantes de ma semaine, comme par exemple le jus de pain de singe, fruit du baobab, et plus tard, ma rencontre avec l'arbre lui-même. J'étais très étonnée, et un peu émue. Je n'avais jamais vu de baobab ailleurs que dans Le petit Prince.
De toute la semaine, j'aimerais surtout rapporter ici ma rencontre avec l'inénarrable Séba, propriétaire du BlaBla Bar, qui m'a servi un délicieux mélange sucré de vodka et de gingembre que je ne suis pas prête d'oublier. Séba est un homme immense, sorti tout droit d'un film haut en couleurs : crâne ras, peau sombre, boucle d'oreille, taille imposante (2 mètre de haut et sans doute autant de circonférence) et voix de ténor ; et pour mieux compléter le tableau, collier massif formé d'une série de pierres d'ambres qui, comme un gri-gri jaune, lui bat la poitrine à chaque fois qu'il part d'un grand rire. Décontracté, il a le rire aussi facile que le verbe, et nous a tout simplement fait cadeau de l'histoire de ses deux grandes aventures amoureuses. Le récit, magnifiquement épique, était ponctué de moult gestes et exclamations. Il s'est étalé sur deux heures, Séba étant régulièrement interrompu par les accolades des personnes qui entraient ou sortaient de son bar. Emerveillée, je me suis laissée transporter, tandis que flottait sur mes lèvres un sourire aussi béat qu'attendri. Je suis retournée deux autres fois au BlaBla, la première pour goûter à un délicieux poulet mariné façon malienne, et la deuxième pour savourer une dernière fois l'ambiance unique de cet espace clair et chaleureux, avec ses bogolans (large tissu de coton tissé main - spécialité malienne) au plafond et ses artistes exposés aux murs.
Pour le reste, et en vrac : j'étais aussi étonnée de la prolifération des deux roues que des masques bleus d'Air France que leurs conducteurs portent sur le nez, pour éviter de respirer l'air saturé de poussière ; je me suis quotidiennement (et en vain) demandé pourquoi l'hôtel Sofitel en caractères latins s'appelait "foundoq Libya" en caractères arabes (ie, Hôtel Libye) ; et je suis restée songeuse devant l'histoire de ce gouverneur français qui, en 1907, a fait reconstruire à l'identique la mosquée de Djenné, patrimoine mondial de l'Unesco et plus grande construction en terre du monde, qu'il faut donc largement re-reconstruire chaque année, à la fin de la saison des pluies.
Après-demain, je prends l'avion pour Beyrouth. Je suis, comme à chaque fois, heureuse de retrouver ma ville, et anxieuse de quitter mon autre chez-moi. Aujourd'hui, ce commentaire de Robert Fisk sur Yubanet m'a beaucoup amusée :
How is it, I ask myself these days, that this tiny country of perhaps only 5 million people - less than the population of London in a state smaller than the Home Counties, with neither oil nor military power - can obsess and capture and alternatively torture or love the United States, Israel, Syria, Iran, UN forces from France, Italy, Germany, Spain, India, Fiji, China, Turkey, Ireland, Ghana, Poland, you name it - and repeatedly dominate entire weeks of UN Security Council business? (The Independent, 15.12.06)
Et ce soir, le premier post en arabe de Stroobia achève de me réconcilier avec mon monde.

vendredi 1 décembre 2006

From Bamako

Depuis mon dernier post, j'ai parcouru un nombre effarant de kilomètres. J'ai fait mes adieux au centre-ville de Beyrouth alors que les manifestants s'éparpillaient et que la cérémonie des funérailles de Pierre Gemayel commençait. J'ai depuis passé 48h à Paris, 24h à Berlin, et 72h à Bamako.

Le décalage culturel me surprend donc tous les matins, à la sortie de l'hôtel Rabelais. Ici, le sol est rouge et le sable, bien qu'imperceptible, envahit tout : l'atmosphère, le bitume, les bureaux et même la tignasse de mes cheveux rendus rêches par la sécheresse. Etonnamment, Bamako me rappelle tantôt Paris, et tantôt Beyrouth. On y parle français, libanais, et une foultitde d'autres langues allant du Bambara au Peul en passant par le Malinke et le Dogon. Deux ponts relient les rives "gauche" et "droite" du Niger : ils sont empruntés dans des sens uniques et opposés aux heures de pointes. Les manguiers portent de nombreux fruits encore verts, mais qui remplaceront bientôt les bananes dans ces récipients de tout genre, qui tiennent en équilibre sur le sommet du crâne, et que les femmes semblent porter avec une facilité qui ne peut que déconcerter une citadine qui peine systématiquement à transporter son ordinateur à bout de bras.

Les gens sont partout. Assis au bord de la route, astiquant leur vélo ou examinant le moteur de leur voiture, ils forment une masse humaine dense, nébuleuse et colorée. Ils vont, viennent, et s'agitent en transportant avec eux toutes sortes d'objets inattendus (des planches de bois ou des posters de Jennifer Lopez). Des hordes de vieilles motos défilent en permanence dans le désordre le plus absolu. Les rues n'existent pas toujours, et la ville ressemble par de longs moments à un immense marché en plein air. T-shirts, boubous et dechdéches forment à mes yeux des spectacles aussi extraordinaires que la fresque de Mohamed Al-Durah, que mon guide m'a déjà fièrement pointée du doigt, ou que la publicité d'Orange, qui rachète le réseau local Ikatel et tapisse la ville des affiches d'une célèbre griotte.

Au cours de la journée, dans les bureaux où je me rends, le va-et-vient est également incessant. Entre deux entretiens, je suis toujours surprise de croiser une paire de chaussures, signe que l'on prie dans l'étroitesse du couloir que je suis sur le point de traverser.
Avec mes talons qui martèlent le sol, j'ai l'impression de perturber un moment sacré, mais la personne que je croise, homme ou femme, poursuit généralement sa prière, l'air indifférent, à genoux sur le sol et la tête tournée vers la Mecque. Parfois, il ou elle me regarde d'un air que j'estimé être malheureux, et j'ai envie de me confondre en excuses. Dans le malaise diffus qui m'envahit, je me raccroche à mes documents et évite les regards. Le reste du temps, je déverse des tonnes de "wa 3alaykoum as-salam" à ceux qui prennent un certain plaisir à me saluer en arabe. Parfois, je pousse jusqu'au traditionnel "wa ra7mat-ou allah wa barakatihi"...

La journée s'écoule de 7h à 1h du matin à une vitesse effrayante. Mais malgré l'agitation environnante, le temps d'ici est encore plus paresseux que celui de Beyrouth. Avec mon rythme parisien, je me sens fonctionner à un tempo supérieur, et semble bouleverser les habitudes autochtones en brassant des tonnes imaginaires d'air chaud. J'aimerais pourtant avoir l'indolence de me coucher au soleil, comme certains, et contempler de mon banc de bois la route de cette 2e plus grande ville d'Afrique après Kinshasa : le Mali comprend 12 millions d'habitants pour une superficie trois fois supérieure à la France, mais aux 2/3 désertique. Les nuits y sont presque fraîches en ce moment, et les moustiques pullulent à toute heure du jour comme de la nuit. Au-dessus de mon lit pend une immense moustiquaire que je ne me résous pas à utiliser. Après ma dose quotidienne de wifi, je m'endors en laissant le soin au petit croquis de la Tour Eiffel de veiller sur mon sommeil.

Dehors, en dépit de l'heure tardive, la vie continue, en couleurs, en musique, et toute en jeunesse...