dimanche 29 avril 2007

I don't believe in much but I love the desert

Je n'ai pas de croyances religieuses très fortes. De tous les textes sacrés que j'aie pu lire, je n'ai retenu que quelques pensées philosophiques, au même titre que ce qui me reste de Sartre ou de Camus. Je ne crois ni aux anges, ni aux démons, et je pense avoir de plus fortes chances d'en rencontrer dans cette vie que dans une hypothétique autre.

Je rêve d'un monde où le prosélytisme et la chasse aux infidèles n'existeraient pas, et d'une société où les 3 grandes communautés monothéistes se partageraient un seul et unique lieu de culte. Je suis persuadée que cela adoucirait nos moeurs, nous libèrerait du diktat de l'Economie, et réglerait le problème du financement de nouveaux lieux de culte. Je suis, peut-être naïvement, persuadée que l'unité de lieu pourrait enfin conduire à concevoir l'unité divine : je n'ai jamais compris comment des Livres imprégnés de sagesse et d'une morale tolérante pouvaient inspirer à leurs lecteurs tant de haine. Et en attendant de passer à la semaine de 32h, il n'y aurait qu'à choisir deux jours de week end entre vendredi, samedi et dimanche.

Dans les médias français, je n'aime pas l'emploi du mot "Allah" dans le texte, qui semble connoter un concept différent du "Dieu" chrétien : "allah" n'est pourtant que la traduction littérale et ô combien Unique du mot "dieu". Pour les
chrétiens arabes, qui prient ce même "Allah", une telle distinction serait absurde. Dans cet Orient si mystifié, on divinise comme on peut, et en l'absence de majuscules dans la langue arabe, le mot "allah" se prononce avec un long "a" (alla-ah) mais, contrairement aux règles, ne s'écrit qu'avec une seule voyelle "allh". Enfant, je me souviens avoir appris cette exception avec autant d'application que "chou, hibou, caillou, genou, joujou et pou", et distingué "ilah" (un dieu) de "allah" (Dieu) au même titre que "dieu" (je cite, de mémoire, "divinité païenne") de "Dieu" (toujours de mémoire, "désignation de Dieu dans l'une des 3 grandes religions monothéistes - le judaïsme, le christianisme et l'islam"). Bonne élève, je n'ai jamais trouvé à redire de ces incursions du Sacré dans mes cours de grammaire. Aujourd'hui, le pas linguistique avec le mot "Yhwh" (ou Yahvé, nom de "Dieu" dans la Bible) me semble infime, notamment en raison des racines sémites de l'arabe et de l'hébreu.

Pour la franco-libanaise que je suis, élevée dans la stricte séparation des langues (cf. post antérieur), il n'est pas anodin, voire carrément étrange, de lire un texte en français dans lequel l'arabe ferait aussi inélégamment intrusion. Un peu comme si, dans un texte sur les moeurs religieuses au Royaume-Uni, l'on se mettait à truffer son article de "god". Un peu aussi comme si le mot "God", en anglais, signifiait autre chose que "Dieu", et justifiait donc son emploi en v.o. dans le texte.

Pour avoir grandi dans un pays déchiré au nom de tant de Dieux, aujourd'hui, je refuse autant de pratiquer que de m'identifier à une religion : j'avais adopté la laïcité bien avant de me faire adopter par la France. Vivant dans une zone enclavée, j'avais appris à bien connaître certaines fêtes, mais le sens d'autres jours fériés m'était demeuré obscur jusqu'en 1990. Pour autant, j'adore retrouver, chaque année, les cérémoniaux quasi-immuables qui ont rythmé mon enfance.

Et, de toute les fêtes religieuses, c'est Pâques que je préfère.
Pour plusieurs raisons :
1. Tout d'abord parce que le rituel de Pâques est à la fois plus festif et plus ludique que d'autres : plus festif parce qu'il suppose une période de jeûne préalable (donc de privation) qui accroît le bonheur gustatif du jour J ; et plus ludique en raison de la tradition des oeufs de Pâques.
2. Ensuite parce qu'il n'y a pas UNE tradition de Pâques, mais bien DES traditions : je l'ai découvert assez tard, alors que je croyais encore en l'universalité du traditionnel combat des oeufs durs libanais au matin de Pâques (les strictes règles de l'art prévoient de colorer les oeufs bouillis la veille, et de casser ceux de ses adversaires le lendemain matin, tête contre tête et bas contre bas - paradoxalement donc, le gagnant est celui qui ne mangera pas son oeuf - il en choisira un autre). Dans les églises, on distribue des oeufs "bénis" pour l'occasion. J'ai depuis appris que cette tradition n'avait non seulement rien d'universel, mais qu'elle pouvait même être considérée comme tout à fait étrange par les pratiquants américains et français.
3. Ensuite encore parce qu'après les oeufs de Pâques, au Liban, nous avons droit à des ma3mouls, pâtisseries succulentes et spécialement préparées pour l'occasion, petites galettes de semoule fourrées de noix, de pistaches, d'amandes ou de dattes (même les hérétiques comme moi, qui se passent bien du jeûne et de la messe, adorent s'empiffrer de ces ma3mouls de saison).
4. Et puis aussi parce que Pâques est l'un de ces rares moments où l'on peut constater qu'il n'y pas une seule chrétienté, comme on pourrait être tenté de le croire en "occident", mais bien une multitude de communautés chrétiennes qui ne s'accordent pas, 2.000 ans après la naissance de leur Messie, à trouver une date commune pour fêter un événement supposément bien plus important que sa naissance (à savoir, celui de sa résurrection). Enfant, j'adorais me faire expliquer pourquoi les Pâques catholiques et orthodoxes pouvaient soit coïncider, soit différer d'une ou de 5 semaines ; aujourd'hui, je ne me lasse pas d'expliquer la différence entre les calendriers julien et grégorien, ou entre les rites d'Orient et ceux d'Occident.
5. Mais enfin, et surtout, parce que les Pâques chrétiennes ("Foseh" en arabe) rejoignent la Pâque juive ("Pessah" en hébreu) et se confondent pour moi avec Adha (Eid el-Kbir, ie la Grande Fête, ou "Aïd" comme on pourrait lire dans la presse française) : le sacrifice du fils d'Abraham et de l'agneau de Dieu n'est finalement que le symbole d'une même (re)naissance, qui correspond également à celle du peuple juif (qui "naîtra" réellement suite à son exil d'Egypte).

3 fois par an, j'aime triompher aussi intellectuellement de ces 3 identités religieuses qui se revendiquent si différentes qu'elles n'en finissent pas de déchirer mon pays...

7 commentaires:

Anonyme a dit…

allah , voila bon post

marcel a dit…

hello
vous pouvez poster vos messages dans la page region de jewisheritage
a bientot

Anonyme a dit…

Après vous avoir entendue à la radio hier, je découvre vos textes d'où émane, malgré tout, une certaine douceur libanaise (peut être dans le ton de vos phrases).

Pour ma part, je ne peux concevoir un seul instant qu'il n'y ait une unité de sens dans les religions monothéistes. De quel droit aurais-je raison plus que l'autre?

Tout cela pour vous dire que l'unité de lieu que vous pronez existe dans un endroit où le temps a laissé par strates successives des identités parfois trop fortes et des cultures très/trop riches de traditions. Dans un même lieu, dans une même action et aussi dans une même prière se réunissent Grecs Orthodoxes, Sunnites, Laïques, Catholiques, Chiites, maronites.

Le Liban est aussi le lieu des possibles, le lieu fragile d'un partage et il demeure en moi comme l'expérience humaine la plus significative "tout au long de mes trente années d'existence".

Depuis, une partie de moi est Libanaise.
Ce soir peut-être demanderai-je l'asile politique au Liban, et j'imagine volontier un ferry en partance de Marseille ou de Normandie en direction de Beyrouth, en espérant que son phare est remis en état. Florian

Anonyme a dit…

euh quelle radio? Quel jour à quelle heure? Y-a-t-il un lien pour le podcast? Je propose un lien "special events" à droite de la page pour informer les lecteurs du blog d'un passage à la radio ...

Anonyme a dit…

Il y a des jardins qui n'ont plus de pays 

Et qui sont seuls avec l'eau

Des colombes les traversent bleues et sans nids

Mais la lune est un cristal de bonheur 

Et l'enfant se souvient d'un grand désordre clair

nadche a dit…

A ceux qui partent pour oublier leur maison
Et le mur familier aux ombres
J'annonce la plaine et les eaux rouillées
(...)
Pour eux nul chant
Mais la rosée brûlante de la mer
Mais la tristesse éternelle des sources

G. Schehadé, Poésies II, 1948

Anonyme a dit…

Continue d'écrire sous le libellé "Libanisme" ça nous met du baume au coeur.
MC