lundi 14 août 2006

D'espoir en désespoir

Ce soir encore, un avion a survolé Paris. J'ai pesté contre les lois qui changent : je pensais qu'il était rigoureusement interdit aux avions de ligne de survoler la ville lumière et, depuis le temps que j'y habite, je n'ai jamais entendu que les avions du 14 juillet rugir dans son ciel.
On s'approche de l'heure H : à 8h am, heure de Beyrouth, les hostilités devront avoir cessé. Israël a accepté la 1701, mais Tsahal tente d'atteindre le Litani, et le Hezb lui résiste. A Beyrouth, il faisait encore jour après la tombée de la nuit : les raids israéliens se sont intensifiés, pour atteindre par moments des bombardements de l'ordre de 10 obus par minute. Exactement comme la semaine dernière, j'ai fixé les secondes de ma montre, et j'ai compté jusqu'à 5 entre deux déflagrations : mon cerveau a refusé de se plier à ce petit jeu. Que restera-t-il de mon pays dans quelques heures ? Probablement encore des hommes, déplaçant de leurs mains nues des montagnes de parpaings et de pierres en ruine, dans une tentative désespérée de retrouver des survivants sous les décombres.
La réunion du gouvernement libanais portant sur le désarmement du Hezb a dû être repoussée de quelques jours, encore et toujours en raison de l'invocation de Chebaa et du droit à la résistance tant que ces quelques kilomètres carrés ne sont pas libérés. En bref, encore un mois avant un cessez-le-feu définitif. Je m'en veux d'avoir cru à l'arrêt des combats et d'avoir déjà rêvé d'un après. J'espère que le matin me donnera tort.
Au 33e jour des combats, le Sud n'est plus qu'un gigantesque feu d'artifice fumant. La Bekaa n'est pas mieux lotie. Une usine de papier et de carton, et une autre de peinture, ont été détruites. Une des usines de Ghandour, notre LU national, a été touchée. L'hôpital de Tebnine et ses 370 patients ont été bombardés pour la deuxième fois. Et moi qui, il y a quelques temps, reprochais l'imprécision des roquettes du Hezb qui avaient atteint un hôpital à Haïfa, je ne peux que répéter : quelle drôle d'idée.
J'ai appris avec douleur que les raids israéliens à Baalbeck ont endommagé la structure du temple de Bacchus (source : Daily Star). Je ne sais plus quoi dire pour dénoncer les soldats de Tsahal qui ne respectent même pas l'Histoire, ni pour dénoncer les combattants du Hezb qui se fondent dans la population civile, lui faisant prendre par là des risques inconsidérés. Comme le dit Yasmina dans son blog :
"Si je n'ai pas une âme de martyr, pourquoi veut-on me l'inculquer de force ?"
Elle ajoutera, quelques jours plus tard, et avec beaucoup de justesse :
"J’ai encore de l’eau pour laver mes cheveux, mes dents, mes vêtements et ma maison. J’ai encore de l’électricité pour mon téléphone, mon ordi, mon sèche cheveux. J’ai encore de l’essence pour ma voiture. J’ai encore de l’argent liquide pour le cas où. J’ai encore une famille, une maison, un bureau. De quoi je me plains alors ? De trouver qu’avoir ça c’est déjà du luxe".
J'ai constaté aujourd'hui que mon vocabulaire technique s'était considérablement amélioré ces dernières semaines : en privé, je ne dis plus "drone" mais "MK" ; j'ai remplacé "char" par "Merkava" ; et je fais la distinction entre un katioucha, une bombe à phosphore et un bunker buster à tête nucléaire. Ce soir, je me demande en quoi cela fait de moi une meilleure personne.
Il semblerait que la rue israélienne commence à se mobiliser sérieusement contre cette guerre, depuis que Tsahal ne cache plus ses pertes et déplore la mort de plus d'une centaine de soldats. Voilà un mois que j'attends et redoute ce moment à la fois : je l'attends parce que la pression interne peut faire plier le gouvernement Olmert ; je la redoute parce que je ne peux pas croire qu'aux yeux de la majorité des israéliens, seules comptent les vies de leurs concitoyens, alors que je m'évertue à répéter, presque tous les jours, qu'une mort prématurée est une perte identiquement déchirante, d'un côté et de l'autre de la frontière. Il n'y a qu'à le demander aux hommes de la Croix-Rouge libanaise qui, aujourd'hui, ont porté l'un des leurs à bout de bras dans un cercueil blanc : ils étaient tous en larmes. Comme Siniora. Comme ce soldat de Tsahal dont l'image a fait le tour des journaux israéliens. Comme sans doute ce sergent de 18 ans, Andrei Brudner, israélien mort au Liban, et qui avait écrit dans son blog une phrase à laquelle je réfléchis depuis ce matin :
"Today I will be there, maybe you will read about me in the news. Many return with blood on their hands. (And now they are celebrities because Ynet wrote about them). Wish me luck".
Ce gamin, qui n'avait pas l'âge de voter aux dernières élections, était-il pour ou contre sa mobilisation ? S'il était contre, pourquoi n'a-t-il pas, comme d'autres, refusé de se battre ? Je regrette de ne pas comprendre l'hébreu pour tenter de trouver une réponse à mes questions.
A Beyrouth, demain, et dans tout ça, paraîtra le premier tirage d'un nouveau quotidien : Al Akhbar (ie, les infos). Au prix de l'achat d'un titre au Liban (entre 300.000$ et 500.000$), je ne peux que supposer que ce journal sera partisan. Par ailleurs, je me demande pourquoi le prince Walid Ben Talal n'a pas encore fait son apparition de sauveur : ce milliardaire saoudien de mère libanaise a toujours eu des visées politiques au Liban, en dépit du fait qu'il ne soit pas libanais, les femmes de mon pays ne pouvant transmettre leur nationalité à leurs enfants.
En partant, il y a deux jours, des tracts israéliens ont été balancés alors que nous attendions les bus dans le Grand Lycée Français : des papiers au format A5 qui volent par milliers au soleil de midi ressemblent à autant d'étoiles sur fond de ciel bleu. Leur contenu ne faisait toutefois pas rêver : il demandait aux habitants de Chiyah, Borj el Brajneh et Hay el Sellom d'évacuer leurs domiciles. En voici un exemplaire, tombé dans la cour où nous étions :
Aujourd'hui, les Nations Unies ont fait savoir qu'il était encore trop tôt pour s'avancer sur une date d'envoi des troupes de la FINUL. Il ne nous reste qu'à pratiquer notre sport national favori : l'attente.
De la poule et de l'oeuf, qui choisira de casser le cercle vicieux ? Réponse dans quelques heures.
De mes lectures du jour, j'ai retenu ces mots de Jean-Marie Muller :
"Aucune des parties en présence ne peut gagner la guerre. Toutes ont déjà perdu la paix".

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Salut Nad,

Pas un jour ne passe sans te lire.

Merci pour tout ce que tu apportes, aussi bien à nous libanais loin de notre précieux et cher "chez nous", qu'à tous ceux qui tentent de comprendre ce qui se passe au liban à travers les yeux et le coeur d'un libanais.

Ton blog m'est très précieux tu sais, et je voulais te dire, pour la enième fois, MERCI MERCI MERCIIIIII!!!

à toi,

P.