mercredi 26 juillet 2006

Entre le marteau et l'enclume

Je me suis encore endormie pendant les infos. J'ai aussi raté le Sayyed à la télévision, qui a répété (3x) : "Wa ma ba3da Haifa..." (ie, au-delà de Haifa). Ces derniers jours, j'ai l'impression de voir en boucle le même film : fumée, destructions, bilan des morts, gros plan sur les blessés, négociations dans l'impasse, départ des étrangers. 1h30 d'images désespérantes, et, hélas, de moins en moins irréelles.
Les "forces d'occupation israéliennes" ont pris Bent Jbeil (ie, la fille de Byblos, nom d'un village à l'extrême sud - cité 7 fois millénaire cette année, Byblos est située au nord). J'ai été révoltée d'entendre Tsahal affirmer qu'il pouvait à présent envahir Beyrouth, sur simple décision du gouvernement Israélien. Puis j'ai refusé l'intimidation : par quelle route et sur quels ponts passeraient les chars ? Je souris en imaginant l'armée israélienne forcée de reconstruire les routes aussi frénétiquement qu'elle les a détruites.
Condie avait l'air plus grave aujourd'hui à Jérusalem, qu'hier à Beyrouth. Peres a dit qu'il s'agit là d'une "question de vie ou de mort pour Israël". C'est pourtant bien le Liban qui agonise actuellement.
L'aide afflue de partout, tandis que le conflit se poursuit. Riyad a fait un don de 100 M$ à notre Banque Centrale. Un navire français de ravitaillement a été empêché d'accoster. La Turquie annonce sa volonté de faire partie de la force multi-nationale d'interposition : je la soupçonne d'essayer ainsi d'augmenter les arguments en faveur de son adhésion à l'Union Européenne ; ou, plus sournoisement encore, de se faire un malin plaisir à revenir sur cette terre, où elle avait fait la loi pendant les 6 siècles du règne ottoman. Je pense à mes amis turcs et me traite de paranoïaque.
Dans une manifestation, quelque part, une pancarte a retenu mon attention. Elle mentionnait, en arabe : "Où sont le courage et l'audace des arabes ?". Je me le demande aussi. Peut-être sont-ils concentrés chez les têtes brûlées de notre Hezb ? Encore que le vrai courage, comme le disait Panoramix, ce n'est pas d'ignorer la peur, mais de savoir la dominer.
J'ai aimé le Ministre de l'Education libanais, Khaled Kabbani, qui a rendu visite aux écoles (où sont enfin arrivés quelques matelas) : il a pris le temps de s'asseoir à même le sol avec une famille de réfugiés, pour partager le thé dans un mug en plastique rouge.
J'ai été terrifiée d'apprendre qu'Israël pouvait envisager de bombarder les sites archéologiques de Baalbeck, de Saïda et de Tyr, dont certains sont classés au patrimoine mondial de l'UNESCO. Au "Que pourrions-nous faire ?" du journaliste, le Ministre de la Culture, Tarek Mitri, a répondu : "Israël enfreindrait alors les règles de la guerre, et nous serions en mesure de lui demander des dédommagements auprès des tribunaux internationaux". Quand on sait le succès de telles aventures, il est préférable de ne pas envisager l'éventualité.
Je ne comprends pas que 85% de l'opinion publique israélienne soutienne les opérations militaires du gouvernement Olmert. Où sont donc les pacifistes de ce côté et de l'autre de la frontière ? Me tromperais-je en pensant qu'ils sont nombreux, ici et là-bas ? Si non, comment expliquer que leur impact soit si faible ? Je n'arrête pas de retourner ces questions dans ma tête. Je rêve d'une immense manifestation de protestation, grave et totalement silencieuse, pour changer des drapeaux que l'on brûle, pour forcer le respect, et pour marquer la fin de la barbarie. Il n'est pas défendu de rêver.
Dans le calme actuel de Beyrouth, je découvre tous les jours la disparition d'une de ces anciennes demeures que j'aime tant, et qui se réduisent comme peau de chagrin. La ville a l'air de n'attendre le retour au calme que pour reprendre ses folies immobilières. Voilà plus de 15 ans que les grues l'ont envahie, et que les bruits de construction ne la quittent plus. Curieusement, la situation actuelle ne m'empêche pas d'avoir aussi mal pour ce mode de vie que l'on démolit volontairement, tantôt à coups de bulldozers, et tantôt à coups de canons.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

De très loin (Bretagne) j'assiste pétrifiée à tout ce qui se passe et je ne comprends pas... je ne peux qu'admirer votre courage, prier je ne sais qui ou quoi, espérer, enfin, que quelqu'un parvienne à tout stopper : la destruction d'un pays crée des générations futures marquées de tout cela...
Je me dis que le Cèdre ne se déracinera pas mais peut-être lui va-t-il falloir se courber un peu? et au nom de quoi???!!!
Je me souviens, aujourd'hui, de ce que me disait ma grand-mère (paix à son âme): il n'y a pas de paix sans justice, il n'y a pas de justice sans pardon. Alors qui va commencer? qui va faire le premier pas??
Surtout Nad, restez debout et gardez l'espoir, encore et toujours!
à vous, toute mon amitié hélas lointaine et bien impuissante