mardi 25 juillet 2006

Chapeau bas

Ce soir, j'ai failli avoir le blues. Passant par hasard devant la télé, j'y ai vu May Chidiac, de retour dans une nouvelle émission. J'ai été scotchée. May Chidiac, présentatrice du JT à la LBC depuis aussi longtemps que je peux m'en souvenir, avait été la victime d'un attentat à la voiture piégée le 25 septembre de l'année dernière, dans la longue série de crimes qui nous ont ravi des hommes tels que Samir Kassir, Georges Hawi et Gebran Tuéni.
May Chidiac, elle, en avait réchappé de justesse, mais elle a dû être amputée du bras et de la jambe gauches. Avant d'être transportée au bloc opératoire, elle avait eu le temps de murmurer : "Pourquoi moi ?". J'avais appris la nouvelle en rentrant d'un long week end en Corse. Je ne comprenais pas : May Chidiac avait beau afficher ouvertement son soutien pour le chef du parti des Forces Libanaises, elle n'avait pas le poids d'un faiseur d'opinions tel que Samir Kassir ; elle était simplement au rendez-vous de milliers de libanais, plusieurs soirs par semaine, toujours à 20h. Avec elle, j'ai vu les guerres de 89 et de 90, puis la LBC évoluer jusqu'à devenir, ces dernières années, une importante chaîne satellitaire au Moyen-Orient.
Au moment de l'attentat, nous avions eu de nombreux débats sur l'horreur anonyme qui tentait déjà d'anéantir les jeunes espoirs de la Révolution du Cèdre. Nous nous demandions si May Chidiac, la plus ultra-coquette des journalistes libanaises, n'aurait pas préféré la mort à la mutilation. Elle avait certainement ses détracteurs, dont un, au moins, qui lui en voulait beaucoup. Mais nous étions sûrs qu'elle reviendrait. Nous attendions son come-back sur le petit écran avec impatience, comme un retour de giffle à tous ceux qui s'en prenaient si lâchement à la liberté de notre presse.
Aujourd'hui, elle est là : blonde (fausse ?), pulpeuse, libanaise jusqu'au bout des ongles, aussi maquillée qu'avant, brushing parfait, tailleur extravagant et impeccable. Elle a toujours le même sourire éclatant. Fascinée, je l'ai observée pendant quelques minutes, sans pouvoir me concentrer sur ce que ses interlocuteurs disaient. Elle était comme d'habitude. Elle exerçait son métier avec autant de passion. Elle gesticulait uniquement de la main droite.
Elle force l'admiration par son courage et sa détermination. C'est notre petite vengeance du moment sur la mort.

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