dimanche 30 juillet 2006

Cessez-le-feu

La principale route qui mène à Damas, via Masnaa, a été définitivement fermée. Elle a été bombardée ce soir. Pendant la journée, un pont de Nahr el Assi (fleuve du nord) a également été détruit. Lentement, l'étau se resserre.
Les stations d'essence de Broummana (dites stations service en France) étaient fermées hier après-midi. Ce soir, tout le monde s'est rué pour remplir son réservoir à ras bord. "On dit" que les stations n'ouvriront que 3 jours au cours de la semaine prochaine et que les prix vont augmenter. J'attends un démenti. L'avantage, le cas échéant, c'est qu'on pourra éviter le bombardement des centrales électriques : bientôt, nous manquerons de fuel pour le jus, mes jambes achèveront de se muscler, et Beyrouth verra fleurir de façon anarchique, comme pendant la guerre (d'avant), des câbles électriques tendus de maison en maison, et de toit en balcon. A l'aide d'une corde, on re-fera descendre un panier jusqu'à la rue, pour remonter sans se fatiguer colis et livraisons. La nuit sera le plus souvent noire et les piles électriques nécessaires pour gravir les escaliers. Ma mère me reprochera de lire à la lumière de la bougie. Peut-être devrons-nous même fouiller dans les greniers pour re-sortir les néons et les vieux lux (lampes à carbure). Dans tous les cas, le bourdonnement de centaines de générateurs de courant (privé) couvrira celui des avions.
Dans les centres commerciaux, les vigiles inspectent encore les véhicules à l'entrée, par peur des voitures piégées de 2005 : complices, nous en rions ensemble. En cours de journée, la rue Hamra demeure impraticable, en dépit de ses magasins majoritairement fermés. Les "valets parking", si chers aux libanais, sont de retour à Gemmayzé : à ce titre, je me dis que ce pays doit bien être le seul au monde à disposer de voituriers aux portes du Mac Do (si, si).
Pourtant, le calme continue de régner sur Beyrouth (Dahyé incluse). Tsahal s'est retiré de Maroun el Ras et de Bent Jbeil. Les bombardements sur le Sud et la Bekaa continuent. Sur les camions également. Condie est de retour dans la région.
Israël ne demande plus un désarmement immédiat du Hezb (soit l'application de la 1559). Je suis sidérée que l'on puisse vouloir quelque chose au point de détruire un pays, et changer d'avis deux semaines plus tard. Plus de roquettes sur le nord d'Israël avec le Hezb derrière le Litani (fleuve qui se déverse dans la mer au niveau de Tyr, à 20 Kms de la frontière israélienne). Mais si les renseignements israéliens sur l'armement dudit Hezb (d'une précision renversante) sont corrects, ce dernier disposerait de missiles de type "Zalzal" d'une portée de plus de 100 Kms : autant dire qu'il faudrait le repousser jusqu'au nord de Beyrouth. Qui croire alors ? Nasrallah qui, à 19h, a encore promis l'étape "d'après Haifa" et Al Manar qui titre "Al mouqawama wal intisar" (ie, la résistance et la victoire) ? Ou Israël qui masse ses troupes le long de la frontière et refuse un cessez-le-feu de 72h au Sud, qui permettrait pourtant de dégager les blessés et de faire parvenir l'aide humanitaire (et l'eau potable à Ain Ebel) ?
Nasrallah a dit que le Liban a, en ce moment, besoin d'une volonté commune. J'enrage de devoir être d'accord avec lui. Il a aussi parlé de chance historique pour le Liban, et a promis que la victoire du Hezb appartiendra (sans conditionnel) à tout le Liban, dans toutes ses composantes, à tous les arabes (et les perses qui les aiment si peu ?), à tous les musulmans et à tous les chrétiens. Là aussi, je suis sidérée de savoir qu'on peut, en deux semaines, passer du statut controversé de résistance islamique à celui de melting-pot régional consensuel.
Mais enfin, pour la première fois aujourd'hui, j'ai entendu une israélienne demander la paix son gouvernement. Il me semble également avoir vu une banderole appelant à un cessez-le-feu en anglais, en arabe et en hébreu. Je ne perds donc pas l'espoir de voir les négociations en cours aboutir, d'autant plus que le plan Siniora (en 7 points - tout le monde en parle, mais personne ne les cite) a été accepté par l'intégralité du gouvernement libanais, incluant les deux ministres du Hezb. Si j'ai tort, ce sera encore l'escalade et, de ponts, il ne nous restera que celui de la chanson.
Douste, mon (autre) ministre des Affaires Etrangères, a refusé l'envoi d'une force multi-nationale sans cessez-le-feu. Je me souviens qu'il y a un mois, nous discutions avec une collègue de l'éventualité d'une Deuxième Guerre qui se serait arrêtée en 1942, par l'intervention d'une force d'interposition entre l'Axe (!) et les Alliés. Elle pensait que les guerres devaient malheureusement aller jusqu'à l'épuisement des haines. Tout en comprenant bien sa logique, je ne pouvais être d'accord sur le principe. Nous avons longuement prolongé la pause déjeuner pour éviter des millions de morts, et résoudre ce problème tout théorique. Nous ne pensions pas mettre nos dilemmes en pratique si rapidement.
Suis-je pour ou contre cette force multi-nationale ? Par paresse intellectuelle, je me dispense d'avoir un avis qui, de toutes les façons, n'y changerait pas grand-chose.
La seule chose que je sais de façon certaine, c'est que je voudrais un cessez-le-feu. Comme Sukleen, qui paie les nouvelles recrues 2$ de l'heure, au lieu des 10$ quotidiens de sa main d'oeuvre étrangère à bas coût. Comme les propriétaires des restaurants du Centre-Ville, qui accusent une deuxième saison morte. Comme les concepteurs de ces plages libanaises, petits morceaux de paradis ou d'enfer (selon les goûts), qui contemplent les 15.000 tonnes de fuel déversés sur leurs investissements, et emportés vers le nord par le courant. Comme les dirigeants de ces milliers de PME, qui se demandent comment ils paieront encore leurs employés le mois prochain. Comme tous ces déplacés, qui ne rêvent que de rentrer dans un chez eux qui n'existe peut-être plus. Comme surtout ces amis plus âgés, qui ont bien connu la guerre (d'avant), et qui n'en peuvent tellement plus de tout ça qu'ils en pleureraient.
Cessez donc le feu.
Parce que, comme le disait le Grand Jacques :
Bien sûr il y a les guerres d'Irlande
Et les peuplades sans musique...
Bien sûr ces villes épuisées
Par ces enfants de cinquante ans...
Et tous ces hommes qui sont nos frères
Tellement qu'on n'est plus étonnés
Que par amour ils nous lacèrent
Mais voir un ami pleurer !
En attendant, au Godot, je parle aux journalistes étrangers : c'est mon petit militantisme à moi. De Jérusalem, ils me rapportent ce slogan, imprimé sur des T-shirts : "I got stoned in Jerusalem". Je ris. De Beyrouth, ils me disent que c'est la ville la plus propre de la région, avec la meilleure nourriture et les plus belles filles. Je n'y peux rien : je me sens fière. Je souris.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Bravo et Merci pour ton blog tout plein de sensibilite et d humanite .