dimanche 23 juillet 2006

24h à Beyrouth

4 déflagrations à Dahyé, suivies de 2 autres, 20 minutes plus tard.
Le temps pour moi de faire le trajet de Beit Mery, où j'ai été déjeuner. Sur la route, j'ai eu du mal à distinguer la fumée tellement le gris du ciel était bas. A propos de cette grisaille permanente, Robert Fisk, journaliste anglais (The Independent) et résident à Beyrouth depuis 30 ans, a écrit, hier :
"And across them all has spread a dark grey smoke that works its way through the entire city, the fires of oil terminals and burning buildings turning into a cocktail of sulphurous air that moves below our doors and through our windows. I smell it when I wake in the morning. Half the people of Beirut are coughing in this filth, breathing their own destruction as they contemplate their dead."
Les derniers mots sont criants de vérité : voilà des jours que j'essaye, sans y parvenir, d'exprimer exactement ça.
Sur la route, je n'oublie plus jamais de tenir le volant à deux mains. Je me répète qu'en cas de déflagration, je dois bien garder le cap. A chaque fois que je passe au-dessus ou en dessous d'un pont, je double de vigilance et essaye de garder la tête haute. Parfois, j'oublie de respirer. Je le réalise quelques instants plus tard. Je me reproche immédiatement ma faiblesse : je vis dans une région préservée.
Il semblerait d'ailleurs que je ne sois pas la seule à le savoir : les réfugiés du Sud qui affluent encore tous les jours préfèrent parfois être logés dans les écoles de "Char'iyé". Char'iyé, Beyrouth-Est, par opposition à Gharbiyé, Beyrouth-Ouest, étaient séparées pendant la guerre (d'avant) par une ligne de démarcation. Ces deux mots, je me suis efforcée de les bannir de mon langage, dans une tentative de me réapproprier ma propre ville. Comme je connais les quartiers d'Ashrafieh, de Sioufi et de Gemmayzé, j'ai progressivement apprivoisé Hamra, Clémenceau, Ras Beirut et tant d'autres. S'il m'arrive encore de me perdre dans certaines ruelles, je suis désormais chez moi partout, même à Basta où, pour mieux négocier les prix, ma mère me demandait de lui parler en arabe. Mais je mentirais si je prétendais m'être souvent promenée dans les rues de Dahyé : aucun bar, aucun magasin, ni aucun ami ne m'y ont jamais attirée.
Il semblerait que la nuit ait été agitée : je n'ai rien entendu.
J'ai beaucoup dormi sur les dernières 24 heures. Assez étrangement, je me suis endormie pendant le 20h d'hier. La nuit, je n'entends plus rien : je dors d'un sommeil de plomb, sans plus être réveillée par les déflagrations. Le matin, j'ai encore sommeil. Je fais des siestes d'une demi-heure qui me semblent durer toute une nuit. Je m'inquiète pour mon horloge biologique.

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