lundi 17 juillet 2006

Des mesures et démesure

Il y a 3 systèmes d'eau communément répandus à Beyrouth :
1. Le puits artésien sous l'immeuble, qui garantit l'accès permanent à l'eau en toutes circonstances ;
2. Les réservoirs de stockage sur le toit, régulièrement remplis par l'eau de la municipalité (1 jour sur 2 en hiver, tous les 2-3 jours en été) : un petit réservoir au rez-de-chaussée alimente le réservoir central du toit, qui transmet l'eau à son tour, et de façon simultanée, au réservoir individuel de chaque appartement. Lesdits réservoirs sont généralement fermés par un cadenas. Nano (notre nounou) raconte volontiers comment celui de mes grands-parents était piraté pendant la guerre (l'autre guerre) : excédée, elle était finalement montée remplir le nôtre en aspirant l'eau des réservoirs voisins au moyen d'un tuyau en caoutchouc... Le piratage s'est arrêté le lendemain. En cas de problème, l'eau d'un camion-citerne est pompé jusqu'au toit.
3. Les réservoirs individuels situés au grenier de chaque appartement : dans ce cas (le nôtre), et s'il y a de l'électricité, l'eau publique remplit les réservoirs de chaque étage successivement ; en bref, plus c'est l'été, plus on habite haut, et moins on a d'eau. En cas de problème, il est pratiquement impossible de les alimenter. Depuis que je suis petite, mes parents attendent donc avec impatience le glouglou des réservoirs pour rempir des dizaines de bouteilles, prendre un bain à ras la baignoire, faire tourner la machine à laver ou nettoyer le balcon à grande eau. C'est aussi pourquoi nous surveillons actuellement le niveau des nôtres. Ce soir encore, j'irai me doucher chez des copains. Une bonne occasion d'observer la ville de plus haut.
Pendant la guerre (l'autre, l'autre guerre), il fallait parfois se déplacer et faire la queue pendant des heures pour remplir quelques bidons d'eau potable (en plastique bleu de 15L ou 25L). Nous louions une chambre à l'hôtel pour la douche.
Certaines situations frisent l'absurde. Gmail me propose de visiter "lhw.com for Luxury hotels in Beirut". A la radio, les publicités continuent de proposer des croisières sur la Méditerranée, tous frais compris, départs tous les mercredi et vendredi.
Sur notre balcon, les souvenirs de la guerre (d'avant) s'échangent autour d'un whisky.
A ce sujet, mon père avait dit un jour : "tenzakar w ma ten3ad" (ie, qu'on s'en souvienne, mais qu'elle ne se repète pas).
Ce midi, nous avons traversé l'un des derniers ponts intacts de la route de Damas pour aller déjeuner à Hazmieh, à une dizaine de kms d'ici. Vue panoramique sur un Beyrouth qui brûle : par endroits, les volutes de fumée rejoignent le gris du ciel, qui se confond à l'horizon avec celui de la mer. Impressionnante grisaille.

Pour continuer dans la science-fiction, un OVNI est tombé à Kfarchima (ville du Mont-Liban, lieu d'innombrables batailles dans le passé), rapidement suivi par des tirs de joie, et l'annonce de l'écrasement d'un F-16 avec ses deux pilotes. Nous avons spéculé sur la trajectoire d'un avion qui tombe (à pic ou pas), le sort des soldats (restitution ou pas) et la réaction de Dominique de Villepin qui devait arriver à Jamhour (résidence des pères jésuites, et pas si accessoirement, mon école). Puis l'information a été démentie, et, devant des images de ce qui aurait pu être un feu de forêt en Corse, les télés ont fait mention d'un "jesm gharib" (ie "corps non identifié" - le mot "jesm" en arabe renvoie très fortement au corps physique). Nous avons changé de sujet de conversation.
Il est confirmé que quelques 800 français ont été évacués par voie maritime. Principalement des enfants et des femmes enceintes. Pas de bateau ce soir, mais peut-être demain.
Israël a menacé de bombarder les centrales électriques, si les tirs sur Haifa se poursuivent. Une fois que ce sera fait, que pourront-ils bien faire de plus, hormis s'en prendre aux civils ?

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