samedi 6 juin 2009

Extraits d'une lettre à une amie aouniste

Quelques extraits d'un mail de réponse à un appel à voter orange... et mes hommages à Samir.

XX,

C'est effectivement dommage qu'on n'ait pas pu se voir pour discuter [de nos avis électoraux].

A dire vrai, au sujet de ces élections, je comprends les 2 points de vue.

Je comprends le "14 mars" (dont je trouve l'appellation absurde puisqu'il n'y aurait pas eu de 14 mars sans le Tayyar), qui redoute une perte progressive des libertés avec l'accession du Hezb au pouvoir officiel et/ou une guerre de plus avec Israël. Personnellement, j'avoue qu'aucune de ces deux perspectives ne me réjouit (...) : je persiste à croire que ce n'est pas par la violence qu'on résout les conflits, et qu'en tous cas, il faut s'acharner à vouloir les résoudre autrement que par la violence. Pour répondre directement à ton argument, je n'ai pas envie de passer ma vie à construire des routes qu'Israël viendrait détruire et que je reconstruirais par la suite, dans un cycle sans fin où je serais une victime révoltée de plus tant qu'une paix globale n'aura pas réellement émergé. Et je suis bien d'accord pour dire que cette paix dépend des autres bien plus que de nous (...).

Dans ce contexte, la chose à laquelle je n'adhère pas dans l'alliance aouniste-hezbollahie aujourd'hui, c'est de croire que le Tayyar pourra effectivement conserver une certaine indépendance. Dans la région, aussi bien l'histoire de l'Iran que celle de l'Arabie Saoudite montre que l'accession au pouvoir officiel par des extrémistes armés alliés avec des intellectuels modérés / gauche / opposition quelconque non armée, aboutit à l'élimination du deuxième camp par le premier et à l'installation d'un régime dictatorial qu'il est par la suite extrêmement difficile de renverser.

Mais je comprends bien le "8 mars" ainsi que l'alliance Tayyar-Hezb, puisqu'effectivement le "14 mars" n'a pas voulu donner une place légitime au Tayyar en 2005. Je suis également totalement contre le fait de marginaliser le Hezb, de ne pas le considérer comme libanais avant tout ou de prétendre que ses partisans auraient moins de droits que d'autres à être représentés correctement et à avoir accès aux richesses de ce pays, qui sont indubitablement réparties d'une manière injuste (...). Je ne rentrerai pas dans les détails des FL, PSP (...) et autres. Je dirai juste que [Hariri] avait peut-être une vision pour faire évoluer le Liban post-guerre mais, qu'a posteriori, ce n'est effectivement pas une vision que je partage. Et il a certainement laissé en héritage un environnement assez peu glorieux, éventuellement plus corrompu, mais certainement pas plus juste ou plus tolérant, ni moins clientéliste ou moins dépendant du contexte régional et de ses voisins immédiats.

Le point particulier de la représentation chrétienne, à mes yeux, n'a pas de valeur propre. Même si je peux concevoir que l'exception du modèle libanais, dans la région, soit peut-être due à l'élément chrétien, je pense qu'il n'est pas tant relié à la chrétienneté qu'au mélange des cultures cohabitant dans une espace réduit. Je ne me reconnais donc pas en tant que citoyenne chrétienne, mais en tant que citoyenne libanaise à l'héritage nécessairement métissé. La représentation par confession est une chose que je trouve désastreuse, même si je comprends que le pacte de 43 ne saurait être rompu, aujourd'hui, sans susciter de replis idenditaires. Je refuse pour autant de voter en fonction de ma confession, et je ne pense pas qu'on puisse réellement résister aux grandes tendances régionales ou internationales en maintenant légalement des représentants d'une confession particulière. Surtout pas dans un pays où la politique est souvent perçue comme un moyen de s'enrichir rapidement et où les voix des électeurs et ceux de leurs représentent s'achètent finalement à peu de frais.

En conclusion, en tant que citoyenne libanaise sans confession politique, qui aspire effectivement à des routes, (...) l'école pour tout le monde et avec un niveau qui permette une employabilité réelle, un filet de sécurité sociale minimal a-politique et a-confessionnel (accès aux soins, à la retraite, etc.), une justice impartiale, et le libre choix de pratiquer ses moeurs sans vouloir les imposer aux autres ou sans tolérer les minorités uniquement dans un périmètre géographique restreint, aujourd'hui, je ne me sens représentée par personne.

J'aimerais donc voter blanc, parce que cela exprimerait réellement cette absence de représentativité dans laquelle je me reconnais. Cela reviendrait à reconnaître l'Etat et ses Institutions, à valider le processus électoral et à croire en un modèle de représentation démocratique, sans pour autant se reconnaître dans les candidats / élus. Mais même cette option n'en est pas une, puisque les votes blancs ne sont pas comptabilisés et que le scrutin ne serait pas annulé même si on comptabilisait une participation maximale et 90% de votes blancs.

Dans ces conditions, je trouve que l'optique de choisir le moindre de deux maux est particulièrement malaisée et que seul l'avenir saura dire quel camp avait raison.

Mais la chose que je trouve positive malgré tout, c'est que rien n'est joué d'avance et que, achat de voix ou de charters ou pas, ce sont réellement les électeurs qui vont choisir, demain.

Et puis, il y a les gens comme toi et moi, qui veulent continuer à croire en l'avenir de ce pays, qui acceptent de discuter de leurs différences et qui cherchent à convaincre sans pour autant imposer leur point de vue ou basculer dans la violence. Cette liberté de choix-là est celle en laquelle je crois et que j'espère voir perdurer sur le long terme. C'est cette liberté qui me permet de garder espoir, aujourd'hui, demain, et après-demain, quel que soit le résultat des élections.

J'espère à mon tour n'avoir pas été trop longue, et je suis sûre que, comme moi, tu aurais encore beaucoup de choses à apporter à ce débat. J'ignore encore si mon vote sera blanc, bleu, orange, rouge, jaune, noir ou vert, mais je suis contente d'apporter ma petite pierre à l'édifice démocratique en tant qu'observatrice.

6 commentaires:

Josef A a dit…

I wonder if the difficulty Lebanon has with its democratic system wouldn't be easier to digest if we relax the supposition that democracy is sine qua non.

There have been other systems of governance and there will be others.

Oh, and you wouldn't believe how long it takes me to slog through French... *sigh*

mc a dit…

très pertinent!

nadche a dit…

@Joseph: it's unbelievably nice to hear from you! Many thanks to have taken the time to navigate through French... Any chance you pay me a visit in Beirut, some day? We'll discuss democracy and freedom in front of the Mediterranean.

@mc: je suis de retour sur la toile. Reste à y rester... :)

mc a dit…

welcome back!

We'll discuss democracy and freedom in front of the Barouk too ;)

Unknown a dit…

a quand ton retour sur la toile ?

nadche a dit…

Pas de promesses, mais j'espère le plus tôt possible... :)