vendredi 13 juillet 2007

Joyeux anniversaire maman

Aujourd'hui, comme il y a un an, comme c'est le cas depuis aussi longtemps que j'existe, c'est l'anniversaire de ma mère.

Il y a un an, comme aujourd'hui, je
paressais au soleil de Beyrouth, contemplant pour la énième fois la maison d'en face, râlant pour la millième fois contre ses propriétaires et contre la folie immobilière libanaise, rêvant d'un impossible esthétisme à la parisienne pour ma ville natale.

Aujourd'hui, j'ai regardé la pluie de juillet s'abattre sur Paris, et je me suis empêchée de penser à Beyrouth. J'ai rapidement survolé les combats de Nahr-el-Bared (ie, le Fleuve Froid), surfé sur les déclarations de Sarko et le mécontentement du Hezb, et travaillé comme tous les autres jours. J'ai fredonné que "la pluie est traversière, elle bat de grain en grain" et, en attendant le bus, j'ai scruté les alentours à la recherche de quelques vieux chevaux blancs qui fredonneraient Gauguin.

Dans le métro, j'ai longuement pensé à ma ville-lumière, à mon pays d'accueil devenu mien, à ses valeurs que j'ai toujours admirées et que je gardais comme refuge à chaque fois que, dans mon autre pays, quelque événement me rappelait la bassesse des hommes politiques dans lesquels je ne me reconnaissais pas : je pensais alors que la politique, telle qu'elle était pratiquée en France, avait quelque chose de noble ; je pensais à la Révolution Française, à la devise qui en est née et à ce petit livret bleu reçu en quatrième et intitulé "Déclaration universelle des droits de l'homme" ; je me disais que cette Histoire-là était décidément très belle. Je gardais espoir.

Au fil des années, ni ma fascination profonde pour la France, ni mon attachement viscéral pour le Liban n'ont changé. A l'école libanaise, j'ai appris mes premiers mots de français. Mais sur les bancs universitaires parisiens, j'ai eu l'impression de toucher du doigt une certaine idée de la France, développée en grandissant ailleurs. Ailleurs, cette "idée de la France" englobe justice et liberté, et dépasse de loin ce que l'on peut imaginer ici. Ici, j'ai jubilé de l'enseignement gratuit, du service public plus empreint d'humanité que de rationalité, et du concept d'une société solidaire où les ajustements économiques ne seraient pas court termistes. J'ai été à la fois fascinée et amusée par les grandes grèves. Je n'ai jamais réussi à râler contre, tant elles reflètent une conscience sociale qui force mon respect.

De retour à Paris après de nombreux voyages, j'ai appris en vrac le divorce des icônes de la gauche française d'avec leur parti. Je me suis sentie doublement orpheline. Tout d'abord de mon pays là-bas, qu'il faut savoir occulter pour pouvoir parfois prétendre à une vie "normale". Ensuite de mon pays ici, cocon de normalité et potentielle alternative à l'autre, mais dont des hommes qui devraient incarner mon "idée de la France" me laissent aujourd'hui perplexe.

Pourtant, dans le fond, je ne me résous pas à perdre espoir.

Il y a un an, vers midi, j'entendais les premiers tirs de joie par les fenêtres grandes ouvertes de notre maison. Un quart d'heure d'effervescence s'en était suivi dans notre salon, ponctué par les exclamations des ستات ("settet" ie, les dames), ici réunies pour fêter l'anniversaire de leur amie. Un quart d'heure de téléphone arabe et l'affaire était close : le Hezb avait enlevé deux soldats israéliens, et les premières rafales de "kalach" célébraient l'événement. Quelqu'un a murmuré : خلينا نتضبضب ("khallina net-dabdab", ie rentrons) et les ستات s'en sont rapidement retournées chez elle. أحسن ("ahsan" ie, c'est mieux), certes. Aujourd'hui, je me demande si elles seraient rentrées moins vite si elles avaient su ce qui allait se produire dans les 33 jours suivants.

Je ne comptais pas célébrer cet anniversaire aujourd'hui. Je ne voulais que le silence en guise de cadeau. Et rentrer bientôt à Beyrouth, non pas comme une résistante de la dernière heure, mais simplement COMME PREVU depuis déjà un an.

Mais il est des dates qui ne s'oublient pas facilement.

L'année prochaine, maman, j'aimerais t'offrir des roses beyrouthines sans croiser en chemin des martyrs de tous bords, collés en 2D sur les panneaux publicitaires de la ville.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Tu me manques... il y a comme une musique mélancolique dans ce post.

Anonyme a dit…

c'est bon de te relire nat, c'est bon de re-voyager dans ces émotions qui sont en quelque sorte les miennes aussi.

merci pour ton post, toujours aussi sensible et ô combien beyrouthin ;)

Anonyme a dit…

Une grande sensibilite affleurante emane de ce post . Nad , ecris plus souvent , tu le fais si bien.... CP