jeudi 17 août 2006

Vol au-dessus d'un nid de vipères

Voilà deux jours que je suis un peu bluesique. Bluesique est un mot que nous avons inventé avec un ami, jeunes étudiants fraîchement débarqués à Paris, et totalement déboussolés : ce mot nous renvoyait chez nous, sans pour autant nous faire sombrer dans une nostalgie pathétique. C'est un sentiment doux et triste à la fois : dans bluesique, il y a un peu de jazz, un bout de musique, et beaucoup de mon pays.
Aujourd'hui, à 20:35 (heure de Beyrouth), j'ai entendu Siniora parler.
Ce type m'a encore épatée : il a réussi à être au-dessus des débats actuels (il a dit, ils ont dit, je réponds). Au-dessus des petites piques des uns et des autres. Au-dessus de l'amalgame et de l'inutile complexité. Son discours était clair et simple, sans jamais basculer du vrai au faux (et vice versa). Il a appelé la Syrie à accepter de tracer les frontières, et à remettre les cartes géographiques probantes à l'ONU. Il a promis d'oeuvrer pour la libération des prisonniers. Puis il a parlé de sa conception de l'Etat : un Etat qui protège sans menacer ; un Etat fort, doté d'une armée puissante et d'institutions démocratiques ; un Etat qui se chargera d'une reconstruction sans discrimination (sans discrimination !) ; un Etat qui s'engage à être transparent dans la gestion des fonds qui lui sont alloués ; un Etat synonyme de droits ET de responsabilités ; un Etat face à un moment décisif de son histoire, qui doit avoir le monopole des armes. Il a conclu par cette phrase : "Je ne parle pas au nom d'un parti ou d'une confession. Je m'adresse à vous en tant que Premier Ministre du Liban".
J'étais rassérénée : la troisième voie est peut-être bien celle qui passe par un Etat sans corruption, qui ne fait aucune distinction entre ses citoyens. J'espère que tous ont écouté Siniora, et que beaucoup l'entendront. J'espère qu'il réussira dans ce projet qui représente tout ce que je souhaite pour mon pays. Je lui pardonne même d'avoir cédé à la facilité de clore par cette phrase, tellement patriotique qu'elle en a été galvaudée :
عشتم و عاش لبنان
(Le Liban vivra tant que vous vivrez)
J'espère, et j'attends parce que la situation est encore précaire. Demain, l'armée commencera à se déployer au sud du Litani.
En ce 3e jour de cessez-le-feu, le Liban est relégué à la 3e place du JT de France2. Sur les autres chaînes, ni les libanais, ni leur classe politique, n'ont l'air de céder aux titillements appelant à la division interne.
Ce soir, je veux bien qu'on oublie un peu mon pays, et qu'on nous laisse panser nos plaies entre nous, à l'abri des regards extérieurs. Ce soir, j'ai envie de faire confiance aux talents de négociateur de Siniora.
Du coup, je retrouve mon calme, mon recul et mon sourire.
Ce soir, j'espère à nouveau.

1 commentaire:

sangli a dit…

Nadche, pourriez vous nous expliquer ce qu'étaient la première et la deuxième voie ?

San. (Belgique).