vendredi 21 juillet 2006

2 pelés et 3 barbus

Nous devions être aux alentours de 300, dont 100 journalistes et 50 étrangers, à la plus petite manif qu'ait connue le Liban en 18 mois. Les libanais étaient, à leur habitude, pleins de créativité et d'émotion.

Les voitures, les minibus et les camions nous klaxonnaient à qui mieux mieux : j'avais plus l'impression de perturbater la circulation que de manifester. Arrivés devant les bâtiments de l'UE, nous avons eu droit à quelques mots de Patrick Renaud en personne (président de la délégation de la Commission Européenne), immédiatement suivis par une reprise de Dalida entonnée en choeur : Paroles, paroles, paroles (prononcer "paRolé")... Puis, comme ce que l'on m'a rapporté des manifestations de Londres et de Paris, il y en a eu pour scander : "Hezbollah, Hezbollah". L'effritement de la manifestation était quasi-immédiat tellement le sujet ne fait pas consensus en ce moment. Dans certains quartiers, les habitants ont demandé aux réfugiés de retirer les (très rares) drapeaux partisans.
J'ai fait la connaissance d'une jeune femme qui affichait tous les signes de la révolte et du désespoir. Fascinée, je l'ai observée retenir les groupes qui quittaient la manifestation en leur répétant : "Vous ne devez pas partir. Nous voulons tous la même chose : que cette agression cesse". J'ai timidement été lui demander son nom. Elle s'appelle Jamila. Comme la Djémila de Jean-Luc Lahaye, comme Jamilé, véritable nom de notre nounou, ou simplement comme l'adjectif féminin arabe pour "jolie". Elle était digne et belle. Elle portait des baskets, un jeans et une chemise noire à manches longues. Pour une raison que j'ignore, peut-être en signe de deuil, elle avait une large bande de tissu noir brodée de rouge nouée autour du bras. Elle avait les yeux verts et les traits fins. Son visage était tendu. Ses mains tremblaient un peu. Elle parlait français. Sa colère m'a fait penser à la jeune afghane sur la célèbre couverture du National Geographic. Elle portait un voile gris moucheté de noir.
Après un échange de quelques minutes, je n'ai pas pu me résoudre à partir. Je lui ai demandé si je pouvais prendre une photo avec elle. Je ne sais pas pourquoi, mais j'étais heureuse de pouvoir nous réunir sur un cliché, elle et moi que tout semble séparer, elle et moi qui, pour n'importe lequel des journalistes étrangers présents, aurions pu être des clichés opposés.
J'ai vu Asma parler devant la caméra de France 5. Asma est une jeune femme d'une trentaine d'années, brune, belle, et dotée d'un sacré caractère. Je l'ai croisée des dizaines de fois lors des manifestations de 2005 : elle encourageait les foules, distribuait des drapeaux libanais, et déroulait d'énormes banderolles de tissu pour que nous y inscrivions nos slogans d'espoir. Elle a campé pour la liberté. Elle milite encore et toujours pour la liberté. Elle est magnifique de courage, et défend haut et fort ses convictions. Elle déteste ce qui se passe autant qu'elle a pleuré la mort de Samir (Kassir). Elle est parfaite pour convaincre les médias.
Nous étions si peu nombreux et si peu alignés, que je suis rentrée déçue. Mais nous avions tout de même réussi à créer une "3aj'a" (ie, trafic) dans les rues de Beyrouth, vides depuis une semaine.
Epuisée sans raison, je me suis endormie pendant plus de 3 heures au cours de l'après-midi. Je me suis réveillée en sursaut, croyant avoir raté la fin du monde en direct live à la télé, mais il ne s'était rien passé de nouveau. Les bombardements du Sud, du Nord, de la Bekaa, des routes, des ponts et des usines, tout cela n'est malheureusement plus "nouveau". Des journalistes ont été jusque dans les villages situés à la frontière sud : les habitants leur ont offert le café, l'air de rien. J'ai été impressionnée par tous ceux qui refusent de partir de chez eux. Moi-même, je refuse de dormir en dehors de la maison, mais je suis bien moins exposée au danger. La prison de Khiam, ancien centre de détention israélien au Liban et sorte de musée de la résistance depuis 2000, a été bombardée. Je n'oublierai pour autant pas l'incription "Blockhaus" qui était gravée sur ses murs...
J'ai appelé un ami, et je lui ai demandé ce qu'il faisait. Il m'a répondu : "Je lis". J'étais sidérée. Lire est une activité tellement paisible qu'elle paraît inconcevable en ce moment.
Nous étions plusieurs à nous retrouver à Gemmayzé le soir : nous avions tous besoin de parler. En voici le résultat : le "pourquoi ?" a été ajouté en dernier.

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