Les parfums doux d'un printemps agité
Le printemps est par excellence la saison du renouveau. Depuis une décennie que j'observe les arbres de Paris perdre leurs feuilles puis bourgeonner quelques mois plus tard, j'ai fini par comprendre que c'est l'ensemble de la ville qui se fait une peau neuve pour l'occasion. Dans les rues, les T-shirts rétrécissent et les jupes raccourcissent. Par ci, par là, une épaule se dénude, des orteils apparaissent. Le printemps parisien est propice aux rencontres nouvelles : après plusieurs semaines d'enfermement, les corps ne ploient plus sous le poids des manteaux longs. Les regards se font plus audacieux, et l'atmosphère plus légère.
A Beyrouth, le printemps apporte également son lot de renouveau. Il s'annonce en faisant éclore les fleurs, et plus particulièrement les petits pétales blancs des premiers gardénias. Jusqu'à ce que je découvre Buena Vista Social Club, j'étais persuadée que le parfum envoûtant des gardénias était une spécificité libanaise. "Dos gardenias para ti" chantait Compay Segundo devant les colonnes de Baalbeck. "Con ellas quiero dicir, te quiero..." murmurent encore les amoureux de Beyrouth, tous les jours de printemps. L'habitude d'offrir des gardénias, voire d'en cultiver sur son balcon, est une tradition beyrouthine que l'on touche peut-être du doigt, à Paris, avec le muguet du 1er mai. A Beyrouth, le printemps est vécu comme 90 1er mai consécutifs.
Au printemps, du crépuscule au petit matin, un vent doux venant de la mer caresse les rues de Beyrouth. Il fait éclore les bourgeons et, aussitôt que la frénésie du jour est retombée, déverse dans toute la ville des milliers de senteurs sucrées. Fleurs d'orangers, gardénias et bien d'autres fleurs embaument subtilement les intersections, surprenant souvent le flâneur au détour d'une rue. Que de fois, marchant dans les rues mal éclairées de ma ville, ne me suis-je brusquement arrêtée, nez au vent et sens en éveil, pour respirer à plein poumons une odeur délicieuse.
Et depuis plus de deux ans (déjà), le printemps de Beyrouth est une expression consacrée, qui résume en 3 mots l'espoir de plus d'un million de libanais, pacifiquement réunis en une immense vague rouge au coeur de la ville. Dans ma tête, cette expression n'est pas dissociable de l'image de Samir (Kassir), dont le meurtre, le 2 juin 2005, n'a pas réussi à tuer ce sale espoir qui me pousse à revenir, en été 2007, habiter dans ma ville.
Mais depuis des années que les beyrouthins vivent avec des bruits de construction, les odeurs de la ville se font plus rares. En lieu et place des ficus qui bordaient les avenues de mon enfance, les nouveaux immeubles poussent avec force de palmiers qui ne projettent qu'une ombre filiforme sur les trottoirs, et font ressembler Beyrouth à une pâle copie de Dubaï-la-neuve. Depuis 16 ans, les jours se succèdent sans que ne cessent pour autant les bruits de chantier, devenus familiers sans cesser d'être assourdissants. Dans les très rares terrains vagues qui restent, on aperçoit parfois un coquelicot, trois marguerites ou une poignée de 7ommayda (citronnelle?). Et, les soirs de printemps, il faut pousser de plus en plus loin dans les ruelles pour trouver un néflier, un oranger ou une haie de rosiers plantés dans des pots en fer.
A Beyrouth, la semaine dernière, j'écoutais l'urbanisation galopante commencer à grignoter mon quartier, jusqu'ici préservé des spéculations immobilières. Les coups portés à l'immeuble du coin étaient sourds. Mon esprit avait du mal à assimiler que l'on démolisse volontairement, d'un côté de la rue, une structure parfaitement saine, tandis que l'on s'évertue, en face, à réparer les dégâts causés par le dernier attentat. J'avais surtout du mal à imaginer que, pendant ce même temps, les combats de Nahr-el-Bared se poursuivaient.
Le porche qui abritait mon uniforme d'écolière attendant l'autocar sera détruit dans les jours qui viennent. Et au printemps prochain, adieu cet arbre qui tissait au sol un tapis de fleurs à quatre pétales blancs et jaunes dont j'ai toujours ignoré le nom, mais que j'ai longtemps ramassées pour leur parfum délicat et leur texture soyeuse.
Le porche qui abritait mon uniforme d'écolière attendant l'autocar sera détruit dans les jours qui viennent. Et au printemps prochain, adieu cet arbre qui tissait au sol un tapis de fleurs à quatre pétales blancs et jaunes dont j'ai toujours ignoré le nom, mais que j'ai longtemps ramassées pour leur parfum délicat et leur texture soyeuse.
Mais dans un mois, j'habiterai Beyrouth. Sur mon balcon, au printemps 2008, fleuriront sûrement des gardénias. Et, pour leur tenir compagnie, il y aura un olivier.
6 commentaires:
Bon post rafraichissant .C-P
Merci encore pour tes libanismes en ces moments difficiles pour notre beau pays
MC
Super Nad, j'adore tes descriptions urbaines!...
Nad, tes posts nous manquent !!!!!!!
alors ? tu veux pas nous emmener un peu avec toi là ?
On t'attend ;o))
A propos des arbres de Beyrouth, tu as oublié de signaler les jacarandas, dont les fleurs embrasent de leurs couleurs les abords du Musée, rue de Damas, entre autre. D'ailleurs, on en a planté tout le long de cette rue, jusqu'au seuil du centre ville. Quand leur bleu ou leur mauve clair se mêlent au vert de leurs feuilles, c'est une splendeur. Une des splendeurs éphémères de Beyrouth
Amiable post and this enter helped me alot in my college assignement. Thank you seeking your information.
Enregistrer un commentaire