From Beirut
Ce matin, le ciel est bleu et le soleil au rendez-vous. Il y a peu, les rues de Beyrouth étaient encore vides. Dehors, les klaxons des premiers convois commencent à se faire entendre. Dans toute la ville, l'armée s'est répandue et a instauré des barrages. Hier soir, en rentrant de l'aéroport, les soldats avaient l'air tranquille et quelque peu désoeuvré.
Je suis assise à la même place que tous les jours de cet été où j'ai tenu ce blog. Par la fenêtre, les vieilles maisons d'en face sont encore debout, et je tente de profiter du sursis.
Voilà deux nuits que je dors mal. Sur toutes les télés, les mines affichées sont graves. LBC, NBN, TL, et les autres retransmettent les funérailles en continu. La Future marque J+647 depuis la mort de Hariri.
Jeudi soir à Paris, la veille de mon départ pour Beyrouth, je n'avais pas réussi à m'endormir. L'excitation de retrouver ma ville était tellement forte qu'elle tenait mes yeux grands ouverts dans le noir. Immobile dans mon lit, je sentais mon coeur battre à mille à l'heure. Je brûlais de revoir mon pays 3 mois après en avoir été privée, et de toucher du doigt les ponts métalliques, le pont de Mdeirej, et les ruines de Dahyé.
Nous avions atterri de façon tout à fait inhabituelle, en survolant à basse altitude les champs de bananiers qui longent encore la portion sud de la côte beyrouthine. Nous n'avons rien vu d'Ouzaï et de ses taudis, et nous avons longuement roulé pour arriver jusqu'au terminal. A la sortie de l'aéroport, comme un immense cocon, l'air chaud de ma ville m'a enveloppée. Je débordais de bonheur.
Dehors, rien ne semblait avoir changé, hormis une gigantesque photo du Cheikh Hassan sur l'autoroute de l'aéroport, symbolisant la victoire divine. J'ai noté qu'elle était dans les teintes du rouge national plutôt qu'en jaune. Partout ailleurs, sur les panneaux publicitaires, une campagne rappelait Marwan Hamadé, Rafic Hariri, Bassel Fleihane, Samir Kassir, May Chidiac, Gebran Tuéni, et, depuis hier, Pierre Gemayel Jr. En blanc sur fond bleu, cette phrase : "Nous n'oublierons pas" (Lan nansa).
Le bonheur de retrouver ma famille et mes amis, et de goûter à la cuisine de ma nounou était immense. J'ai passé 36 heures à Beyrouth, et j'ai réussi à manger une quantité invraisemblable de plats de tout genre. J'étais affamée de mon pays.
Quelques jours plus tard, dans une chambre d'hôtel au bord de la Mer Morte, j'ai appris l'assassinat de Pierre Gemayel Jr, 34 ans, un gamin à peine plus âgé que moi. Comme lors de tous les précédents attentats, j'ai commencé par me demander qui était Pierre Gemayel, le temps que mon esprit absorbe la nouvelle. L'espace de quelques secondes, les images de politiciens de la famille Gemayel, Bachir, Amine, Pierre Sr, Nadim et Solange, se sont confondues dans mon esprit. En même temps que le noeud qui se nouait dans mon estomac, je me demandais pourquoi les libanais s'acharnent à résoudre les problèmes dans le sang. J'étais à bout, dégoûtée, et pourtant toujours aussi peu encline à céder à cet énième appel à la violence.
Que l'excellent week end que je venais de passer entre Beyrouth, Beiteddine, Damas et la Mer Morte s'achève par un événement aussi tragique me dépassait. J'ai eu envie de pleurer, mais je savais que je n'y arriverai pas. Les autres libanais, présents à la conférence à laquelle j'assistais en Jordanie, ont plié bagage le soir même. Moi, j'ai écrit.
Et pendant que j'écrivais pour évacuer mon angoisse, je pensais aux attentats de Londres, et aux coupables que l'on avait arrêtés au bout de 3 jours. Pourtant, combien de voyageurs "commutent" quotidiennement dans les couloirs du Tube ? Au-delà des déclarations enflammées, pourquoi est-il tellement difficile, dans mon pays, de retrouver des hommes qui circulent en Range Rover, qui tuent à la mitraillette, à bout portant et en plein jour ? Pourquoi les crimes, ici, doivent donc rester impunis ? Pourquoi mon avenir et celui de mes concitoyens, que nous ne souhaitons que paisible et florissant, doit-il baigner en permanence dans l'incertitude ? Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ?
Et pendant que ce sempiternel "Pourquoi ?" me matraquait le cerveau, pendant que j'écrivais d'une main et que j'écoutais la conférence de l'autre oreille, je sentais progressivement poindre, d'une façon totalement absurde, un certain espoir... Ce sale espoir, comme dirait l'Antigone d'Anouilh, qui subsiste comme un défi, un espoir insensé, irraisonné, voire même idiot dans un tel contexte, mais un espoir aussi serein qu'absurde, et qui, lui, refuse catégoriquement de mourir.
Il est 10h50 et la ville s'agite de plus en plus : voitures, klaxons, et musique à tue-tête succèdent à des minutes de calme de plus en plus courtes. A 13h, les funérailles auront lieu au Centre-Ville. La dépouille sera ensuite transférée à Bickfaya, fief des Gemayel au coeur de la montagne libanaise.
A 15h45, je prends l'avion pour Paris.
Je suis assise à la même place que tous les jours de cet été où j'ai tenu ce blog. Par la fenêtre, les vieilles maisons d'en face sont encore debout, et je tente de profiter du sursis.
Voilà deux nuits que je dors mal. Sur toutes les télés, les mines affichées sont graves. LBC, NBN, TL, et les autres retransmettent les funérailles en continu. La Future marque J+647 depuis la mort de Hariri.
Jeudi soir à Paris, la veille de mon départ pour Beyrouth, je n'avais pas réussi à m'endormir. L'excitation de retrouver ma ville était tellement forte qu'elle tenait mes yeux grands ouverts dans le noir. Immobile dans mon lit, je sentais mon coeur battre à mille à l'heure. Je brûlais de revoir mon pays 3 mois après en avoir été privée, et de toucher du doigt les ponts métalliques, le pont de Mdeirej, et les ruines de Dahyé.
Nous avions atterri de façon tout à fait inhabituelle, en survolant à basse altitude les champs de bananiers qui longent encore la portion sud de la côte beyrouthine. Nous n'avons rien vu d'Ouzaï et de ses taudis, et nous avons longuement roulé pour arriver jusqu'au terminal. A la sortie de l'aéroport, comme un immense cocon, l'air chaud de ma ville m'a enveloppée. Je débordais de bonheur.
Dehors, rien ne semblait avoir changé, hormis une gigantesque photo du Cheikh Hassan sur l'autoroute de l'aéroport, symbolisant la victoire divine. J'ai noté qu'elle était dans les teintes du rouge national plutôt qu'en jaune. Partout ailleurs, sur les panneaux publicitaires, une campagne rappelait Marwan Hamadé, Rafic Hariri, Bassel Fleihane, Samir Kassir, May Chidiac, Gebran Tuéni, et, depuis hier, Pierre Gemayel Jr. En blanc sur fond bleu, cette phrase : "Nous n'oublierons pas" (Lan nansa).
Le bonheur de retrouver ma famille et mes amis, et de goûter à la cuisine de ma nounou était immense. J'ai passé 36 heures à Beyrouth, et j'ai réussi à manger une quantité invraisemblable de plats de tout genre. J'étais affamée de mon pays.
Quelques jours plus tard, dans une chambre d'hôtel au bord de la Mer Morte, j'ai appris l'assassinat de Pierre Gemayel Jr, 34 ans, un gamin à peine plus âgé que moi. Comme lors de tous les précédents attentats, j'ai commencé par me demander qui était Pierre Gemayel, le temps que mon esprit absorbe la nouvelle. L'espace de quelques secondes, les images de politiciens de la famille Gemayel, Bachir, Amine, Pierre Sr, Nadim et Solange, se sont confondues dans mon esprit. En même temps que le noeud qui se nouait dans mon estomac, je me demandais pourquoi les libanais s'acharnent à résoudre les problèmes dans le sang. J'étais à bout, dégoûtée, et pourtant toujours aussi peu encline à céder à cet énième appel à la violence.
Que l'excellent week end que je venais de passer entre Beyrouth, Beiteddine, Damas et la Mer Morte s'achève par un événement aussi tragique me dépassait. J'ai eu envie de pleurer, mais je savais que je n'y arriverai pas. Les autres libanais, présents à la conférence à laquelle j'assistais en Jordanie, ont plié bagage le soir même. Moi, j'ai écrit.
Et pendant que j'écrivais pour évacuer mon angoisse, je pensais aux attentats de Londres, et aux coupables que l'on avait arrêtés au bout de 3 jours. Pourtant, combien de voyageurs "commutent" quotidiennement dans les couloirs du Tube ? Au-delà des déclarations enflammées, pourquoi est-il tellement difficile, dans mon pays, de retrouver des hommes qui circulent en Range Rover, qui tuent à la mitraillette, à bout portant et en plein jour ? Pourquoi les crimes, ici, doivent donc rester impunis ? Pourquoi mon avenir et celui de mes concitoyens, que nous ne souhaitons que paisible et florissant, doit-il baigner en permanence dans l'incertitude ? Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ?
Et pendant que ce sempiternel "Pourquoi ?" me matraquait le cerveau, pendant que j'écrivais d'une main et que j'écoutais la conférence de l'autre oreille, je sentais progressivement poindre, d'une façon totalement absurde, un certain espoir... Ce sale espoir, comme dirait l'Antigone d'Anouilh, qui subsiste comme un défi, un espoir insensé, irraisonné, voire même idiot dans un tel contexte, mais un espoir aussi serein qu'absurde, et qui, lui, refuse catégoriquement de mourir.
Il est 10h50 et la ville s'agite de plus en plus : voitures, klaxons, et musique à tue-tête succèdent à des minutes de calme de plus en plus courtes. A 13h, les funérailles auront lieu au Centre-Ville. La dépouille sera ensuite transférée à Bickfaya, fief des Gemayel au coeur de la montagne libanaise.
A 15h45, je prends l'avion pour Paris.
2 commentaires:
Nad.....
Toi qui écris si bien.........
Sur RFI en France dans une des émissions c'est koffi Anan qui répond aux auditeurs.........
On peut déjà poser les questions sur http://rfi.fr/radiofr/emissions/072/accueil_7.asp
Si tu n'arrives pas à ouvrir le lien c'est sur le site RFI.FR dans la rubrique émissions / appels sur l'actualité
Je suis sûre que tu as plein de choses à lui dire.....
J'espère qu'il sera assaillé de questions de la part des libanais...
MC
très beau post...
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