lundi 13 novembre 2006

Back from Dubai²

Hier, 5 ministres libanais ont démissionné. Les querelles entre les différents partis n'en finissent plus. Hormis leurs membres, tout le monde est las de les entendre. A Paris, nous sommes plusieurs à nous désintéresser progressivement de ces discussions qui n'en finissent pas, et de ces hommes qui ne se disputent finalement que le pouvoir. Partout, on peut lire que deux visions incompatibles s'affrontent. Moi, je me demande quelles sont ces incompatibilités tellement profondes que tout le monde en parle comme d'une évidence, en omettant systématiquement de les nommer.
A Paris, ce sont des discussions d'un autre type qui reviennent sur le terrain, à l'approche des fêtes de fin d'année : celles du prix des billets d'avion. Pour une partie des 10 millions de libanais qui résident à l'étranger, en Europe, en Afrique, en Australie ou dans les Amériques, indépendamment de la confession, c'est le moment d'aller passer des vacances en famille. De Mexico, Dubaï, Tokyo, Bruxelles, Paris, Londres, Montréal ou Atlanta, nous nous retrouvons toujours à Beyrouth à la fin de l'année.
Entre décembre 1999 et décembre 2006, le tarif d'un Paris-Beyrouth en vol direct (4h) a augmenté de plus de 50%, atteignant aujourd'hui un minimum de 880€ en classe éco (billet non modifiable sans pénalités, et obtenu comme une faveur exceptionnelle dans les agences de voyage spécialisées). Pour le même prix, et aux mêmes dates, on peut arriver jusqu'à Pékin avec Air France (10h de vol). Wikipédia m'apprend qu'en 2004, la MEA (Middle East Airlines, compagnie nationale) affichait un résultat net de 50 millions de dollars (40M$ en 2005), et qu'elle est détenue à 99.37% par la Banque Centrale. Je me demande à qui appartiennent les 0.63% restants. En 1998, Air France et la MEA se sont alliées, et l'ensemble de la flotte libanaise avait basculé sur Airbus. Sur le site de l'Ambassade de France au Liban, j'apprends que le Directeur Général actuel de la MEA, M. Mohamad el Hout, est Chevalier de la Légion d'Honneur française depuis le mois de mai 2006.
Face aux prix quasi-prohibitifs du Paris-Beyrouth en "haute saison", que de fois n'ai-je pensé passer Noël aux Maldives ? Mais pas une seule fois, en presque 10 ans de résidence parisienne, ma révolte n'a réussi à se transformer en une résolution concrète. Je me demande tout de même ce que j'aurais fait si j'avais une famille en France, ou si je n'entrais pas dans la catégorie des jeunes cadres dynamiques français. Est-ce que j'aurais, petit à petit, renoncé à mon (autre) pays ?
En été, les tarifs semblent légèrement plus abordables parce que les vacances s'étalent sur une période plus longue. Chaque année, depuis l'enfance, je partage une partie de mon été entre la mer Méditerranée et la montagne libanaise. Et chaque année, c'est le même plaisir de retrouver les flots de mon rivage, puis de surplomber le brouillard, assise sur l'une des terres arides du Mont-Liban.
Aujourd'hui, il faisait 11°C à Paris. Il y a quelques jours, à Dubaï, j'avais profité des 35°C ambiants pour nager dans la mer du Golfe. J'ai plongé la tête sous l'eau, battu des pieds et des mains jusqu'à l'essoufflement, et fini par faire la planche, me laissant porter par le courant. C'était un bonheur immense. Je flottais en regardant le ciel bleu, coupée du monde extérieur par le bruissement de la mer. Je n'ai sans doute pas dérivé longtemps, mais j'ai savouré chaque minute de ce bain inattendu, me laissant submerger par l'eau et les émotions. Pour la première fois en presque 30 ans, je n'avais pas nagé en été.
A mi-chemin entre mon juillet libanais et une nouvelle fin d'année beyrouthine, je me sens parfois loin de la réalité. Vendredi matin, je m'envole pour Beyrouth, où je ferai un passage éclair de 36h. Depuis des semaines que je connais la date de ce prochain voyage, j'anticipe le dîner dans la Grande Maison autant que je redoute le début de la démolition de la maison d'en face (dont le propriétaire a, assez ironiquement, signé la pétition de Gemmayzé). Je vis et revis des retrouvailles chaleureuses avec ma famille et mes amis. J'imagine les rues de Hamra et de Gemmayzé la nuit. Je rêve de sentir l'odeur de la terre mouillée, celle-là qui, à défaut de feuilles mortes, annonce l'automne beyrouthin en envahissant nos narines. Plus mon voyage s'approche, et plus ces images deviennent concrètes, palpables.
Je me souviens tout à coup de mon pied sur l'accélérateur, le 2 août 2006, alors que nous rentrions de Deir-el-Qamar à Beyrouth. A l'aller, nous avions fait un grand détour par Aley, franchissant deux montagnes consécutives pour arriver à destination. Au retour, rejetant l'idée même du danger, j'avais décidé d'emprunter l'autoroute. Jusqu'à Damour, nous avions dû rouler sur l'ancienne route. A notre gauche, nous pouvions attester de nos propres yeux la destruction de ces ponts familiers que les télévisions nous transmettaient quotidiennement. De retour sur la portion praticable de l'autoroute, nous avions bêtement explosé de joie et brandi le V de la victoire après avoir dépassé, indemnes, le premier pont encore intact. Nous étions arrivés à Beyrouth fourbus mais heureux de notre épopée du jour. J'hésitais entre la qualifier d'héroïque ou la considérer comme une ballade ordinaire, le danger que nous croyions braver étant en fait totalement illusoire. Le soir, j'apprenais que la vieille route que nous avions empruntée avait été bombardée dans l'après-midi, probablement quelques kilomètres plus au sud de l'endroit où nous nous trouvions. J'avais conservé un calme olympien. J'ignore pourquoi il me semble nécessaire d'expérimenter les événements en personne pour pouvoir y croire.
Dans quelques jours, je ferai probablement un détour par Dahyé. Trois mois plus tard, j'imagine que les amas de gravats seront encore là. Je me demande quelle sera ma réaction. Très égoïstement, et d'avoir tellement anticipé ce retour au bercail, j'espère que, cette semaine, les querelles inter-gouvernementales laisseront les rues de Beyrouth tranquilles.
En attendant, et en écho aux dish du Kosovo, voici ceux des toits du bout d'habit...

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Merci Nadche pour tes posts toujours impeccables .Un dosage maitrisé et harmonieux d’impressions de voyages , de géopolitique , et de sensations propres a toi . En espérant que ta prochaine escale Libanaise se déroule bien
Bonne suite…
L.Ah

Anonyme a dit…

Eh? Huit jours sans post? Qu'est-ce que c'est que ce relâchement?

ThV

Anonyme a dit…

c'est la premiére fois que je viste ton blog-je me permets de te tutoyer-je veux juste te dire que malgré tout je garde et garderai toujours l'image d'une Beirout ensoleiller.....trés bonne continuation
S.L