Back from Tuzla & London
Eurostar, Londres-Paris
Tuzla tient son nom du turc Tuz = sel.
La ville est pleine de mines de sel. Comme d’énormes derricks, les points de forage se dressent dans la partie nord de la ville, parfois en bois, mais le plus souvent en métal. A proximité, se dégage une forte odeur de soufre. Sous l’empire romain, la ville était déjà réputée pour l’excellente qualité de son sel et s’appelait alors Salines. Aujourd’hui, le centre-ville s’enfonce lentement en raison de la porosité du sous-sol. Les rues présentent d’étranges irrégularités à la surface, formant tantôt un creux, et tantôt une proéminence, comme autant de longues vagues d’asphalte. Le reste de la ville vit tranquillement, et s’étend progressivement d’est en ouest, le long des rivières Jala et Spreča, sans jamais penser se développer au nord ou au sud.
L’hôtel Tuzla est l’un des rares endroits qui puisse loger les touristes, généralement de passage pour des raisons professionnelles. L’immeuble d’une quinzaine d’étages, tout en béton gris, démesuré et étrangement conçu, est un de ces innombrables bâtiments hérités de l’ère soviétique. L’entrée est immense, et l’intérieur totalement désuet. De ma chambre, je ne voyais que des maisons et des immeubles plus petits, au loin, entre des parcelles cultivées en vert. La vue me faisait penser à ces images des villes nouvelles de Chine, glanées au gré de mes lectures, où la ville s’arrête brusquement et cède la place à la végétation. A 7h du matin, ma fenêtre était aussi blanche qu’une page Word : un brouillard dense et impénétrable emprisonnait les hauteurs de l’hôtel Tuzla, sans pour autant s’étendre jusqu’au rez-de-chaussée, où l’activité démarrait lentement. A 10h, les nuages se dissipaient, et un beau soleil illuminait la pierre jaune et les toits rouges de la ville. Vers 18h, au moment du crépuscule et du iftar concomitant, les mosquées restent discrètes. Dans l’air devenu plus frais, une odeur de charbon se répand et envahit progressivement toutes les rues de la ville.
La ville est pleine de mines de sel. Comme d’énormes derricks, les points de forage se dressent dans la partie nord de la ville, parfois en bois, mais le plus souvent en métal. A proximité, se dégage une forte odeur de soufre. Sous l’empire romain, la ville était déjà réputée pour l’excellente qualité de son sel et s’appelait alors Salines. Aujourd’hui, le centre-ville s’enfonce lentement en raison de la porosité du sous-sol. Les rues présentent d’étranges irrégularités à la surface, formant tantôt un creux, et tantôt une proéminence, comme autant de longues vagues d’asphalte. Le reste de la ville vit tranquillement, et s’étend progressivement d’est en ouest, le long des rivières Jala et Spreča, sans jamais penser se développer au nord ou au sud.
L’hôtel Tuzla est l’un des rares endroits qui puisse loger les touristes, généralement de passage pour des raisons professionnelles. L’immeuble d’une quinzaine d’étages, tout en béton gris, démesuré et étrangement conçu, est un de ces innombrables bâtiments hérités de l’ère soviétique. L’entrée est immense, et l’intérieur totalement désuet. De ma chambre, je ne voyais que des maisons et des immeubles plus petits, au loin, entre des parcelles cultivées en vert. La vue me faisait penser à ces images des villes nouvelles de Chine, glanées au gré de mes lectures, où la ville s’arrête brusquement et cède la place à la végétation. A 7h du matin, ma fenêtre était aussi blanche qu’une page Word : un brouillard dense et impénétrable emprisonnait les hauteurs de l’hôtel Tuzla, sans pour autant s’étendre jusqu’au rez-de-chaussée, où l’activité démarrait lentement. A 10h, les nuages se dissipaient, et un beau soleil illuminait la pierre jaune et les toits rouges de la ville. Vers 18h, au moment du crépuscule et du iftar concomitant, les mosquées restent discrètes. Dans l’air devenu plus frais, une odeur de charbon se répand et envahit progressivement toutes les rues de la ville.
Tuzla n’est pas une étape recommandée par mon Lonely Planet sur les Balkans. Pourtant, cette importante ville de province (150.000 à 200.000 habitants), qui vit à un rythme tranquille, n’est pas totalement dépourvue d’attraits.
A l’entrée, une gigantesque usine d’électricité se dresse. La proche banlieue regorge d’une activité industrielle telle qu’on n’en voit plus dans le paysage français : de gigantesques complexes en béton et des structures métalliques de tout genre traitent tantôt l’eau et tantôt le charbon. Relativement préservée pendant la guerre de Bosnie, Tuzla abrite encore une église russe orthodoxe, qui ressemble à une mosquée orientale dont on aurait troqué les minarets contre des tourelles au dôme arrondi. On y trouve également une église catholique, nouvellement reconstruire, blanche et anguleuse, dont le béton tranche fortement avec la pierre environnante. Partout ailleurs dans la ville, de vieilles mosquées parsèment le paysage : elles ont des âges différents, mais pratiquement toutes sont des bâtiments carrés avec de grandes fenêtres rectangulaires, flanqués d’un minaret de pierre sur le côté, et surplombés d’un toit rouge dont l’esthétique me ravissait et me nouait la gorge à la fois, en me ramenant immanquablement au toit menacé de la maison d’en face, à Beyrouth.
Dans les rues de la ville, l’immense majorité des passants sont vêtus selon les normes internationales en vigueur, dans le pur style made in China. Mais, une fois, et comme par hasard, des religieuses en robe noire, coiffées d’un voile qui dérobait leurs cheveux à mes regards, ont croisé d’autres femmes tout aussi intégralement voilées de noir. Ici, comme ailleurs en Europe, on se marie à la fois à la mairie et dans un établissement consacré à sa religion. Je pense au mariage civil, qui n’existe pas au Liban, et qui contraint les amoureux de religion différente à se marier dans une ville étrangère, à Chypre, à Paris ou ailleurs, selon les affinités.
Dans les cimetières bosniaques, les stèles funéraires sont souvent surmontées d’un turban, et les inscriptions présentent le regretté en caractères latins, mais demandent à Dieu d’étendre sur lui sa miséricorde en arabe. Différents interlocuteurs me font remarquer que les nouvelles mosquées ont des coupoles bien rondes, et ne sont donc plus adaptées à la neige qui s’accumule en hiver sur les toits. J’ai pu voir l’exemple le plus impressionnant de cette architecture nouvelle (quoique banale au Moyen-Orient) sur la route qui mène de Tuzla à Sarajevo : dans la nuit, entre deux lacets de cette route qui serpente entre les forêts et les montagnes de Bosnie, une mosquée de verre m’est apparue. Elle était entièrement éclairée au néon, et on y distinguait clairement les femmes à l’étage supérieur, et les hommes au rez-de-chaussée. Dans le minaret, également éclairé de blanc, on pouvait distinguer les escaliers en colimaçon qui grimpaient jusqu’aux haut-parleurs. Tout s’y donnait à voir, et les fidèles, illuminés, semblaient suspendus dans le noir de la nuit environnante…
Une semaine sans connexion Internet, et j’en ai presque oublié que mon pays n’en finit pas de traverser une période difficile. Arrivée à Londres, après avoir quitté Tuzla de nuit, dormi à Sarajevo, puis fait escale à Milan et à Paris, je voguais encore entre deux villes, mon corps ayant traversé l’Europe plus vite que mon esprit. Beyrouth me paraissait loin. Le Liban et l’Empire ottoman se confondaient dans mon esprit, perdus dans des paysages entre le XVIe et le XXe siècle.
Profitant d’une pause inespérée dans un week end intense, je me suis connectée au Net. Sur msn, nous avons bavardé avec le bout d’habit, discutant de la dernière publicité du Tube londonien, qui vantait les mérites d’une entreprise de fabrication de neige artificielle. Le slogan m’avait frappée, et s’était attiré les foudres des écologistes qui m’accompagnaient. Il clamait : "Not only have we re-invented snow… but we also made it profitable". Je n’ai toujours pas les mots qu’il faut pour exprimer clairement l’étonnement (et le vague malaise ?) que j’ai ressenti : du Mistral à l’iPod, le progrès industriel et technique de notre époque est proprement impressionnant ; mais d’aucuns me sidèrent par leur façon de considérer tout ce que ce monde comprend comme un bien matériel et échangeable, pouvant être produit en série et vendu de New York à Moscou en passant par Cape Town. Du bout d’habit, la photo d’un skieur sous les néons, dans un immense hangar à neige, finit par me faire rigoler.
Puis, au détour de la conversation, j’apprends que 3 roquettes ont explosé dans le centre-ville de Beyrouth : les deux premières en l’air, et la troisième au Bouddha bar, bâtiment jouxtant celui des Nations Unies. Mes considérations sur la mondialisation et l’écologie se sont soudainement volatilisées, et je me suis mise à traquer l’information sur les sites du Nahar, de la BBC ou de Google News. Partout, on n’annonçait que l’arrivée de la marine allemande à Beyrouth. Le seul article disponible débattait de la nature des engins, roquette ou RPG (Rocket Propelled Grenade). Le site du Tayyar ne présentait que la commémoration du 13 octobre (1990, lorsque le Général Aoun a dû fuir le Liban, avant l’irruption humiliante des barrages syriens dans une région qui n’en avait jamais vus). J’étais désespérée : impossible de s’éloigner de ce pays, impossible de s’octroyer une trêve, impossible d’oublier ma libanité, ni à Paris, ni à Tuzla, et encore moins à Londres.
Pourtant, l’événement semblait insignifiant, et du bout d’habit à Earl's Court, nous avons choisi de rester optimistes. Nous nous sommes ironiquement consolés d’avoir encore les mêmes dirigeants depuis 30 ans : eux, au moins, ne peuvent pas être tentés de se relancer dans un conflit meurtrier interne ; ils ont déjà goûté à la poudre, et en sont revenus. En 2005, la réapparition des sacs de sable, entassés devant le bâtiment de l’Escwa au centre-ville, m’avait fait un drôle d’effet, comme un terrible flash-back vers des souvenirs enfouis.
J’ai finalement passé trop peu de temps à Sarajevo pour pouvoir vraiment la décrire ici, mais c’est indéniablement une ville de mélanges. Les quelques lieux branchés que nous avons vus m’ont fait fortement penser à ceux de Beyrouth : il y régnait un mélange de bonne humeur et d’originalité qui n’existe ni à Paris, ni à Londres, mais peut-être un peu dans des villes plus jeunes, comme Barcelone. J’ai tout de même réussi à faire un saut à la librairie Šahinpašić, Soukbunar 12, où je me suis laissée imprégner par les livres bosniaques, impeccablement rangés sur des étagères de bois sombre, dans un espace lumineux et haut sous plafond. Je m’y suis sentie bien, et me suis assise sur un banc, laissant le vendeur me faire admirer un livre de croquis sur sa ville : en marron sur fond beige, j’ai revu, l’espace d’une minute, tous les bâtiments historiques que j’avais admirés la veille, en savourant un épi de maïs bouilli dans les rues de Sarajevo.
A l’entrée, une gigantesque usine d’électricité se dresse. La proche banlieue regorge d’une activité industrielle telle qu’on n’en voit plus dans le paysage français : de gigantesques complexes en béton et des structures métalliques de tout genre traitent tantôt l’eau et tantôt le charbon. Relativement préservée pendant la guerre de Bosnie, Tuzla abrite encore une église russe orthodoxe, qui ressemble à une mosquée orientale dont on aurait troqué les minarets contre des tourelles au dôme arrondi. On y trouve également une église catholique, nouvellement reconstruire, blanche et anguleuse, dont le béton tranche fortement avec la pierre environnante. Partout ailleurs dans la ville, de vieilles mosquées parsèment le paysage : elles ont des âges différents, mais pratiquement toutes sont des bâtiments carrés avec de grandes fenêtres rectangulaires, flanqués d’un minaret de pierre sur le côté, et surplombés d’un toit rouge dont l’esthétique me ravissait et me nouait la gorge à la fois, en me ramenant immanquablement au toit menacé de la maison d’en face, à Beyrouth.
Dans les rues de la ville, l’immense majorité des passants sont vêtus selon les normes internationales en vigueur, dans le pur style made in China. Mais, une fois, et comme par hasard, des religieuses en robe noire, coiffées d’un voile qui dérobait leurs cheveux à mes regards, ont croisé d’autres femmes tout aussi intégralement voilées de noir. Ici, comme ailleurs en Europe, on se marie à la fois à la mairie et dans un établissement consacré à sa religion. Je pense au mariage civil, qui n’existe pas au Liban, et qui contraint les amoureux de religion différente à se marier dans une ville étrangère, à Chypre, à Paris ou ailleurs, selon les affinités.
Dans les cimetières bosniaques, les stèles funéraires sont souvent surmontées d’un turban, et les inscriptions présentent le regretté en caractères latins, mais demandent à Dieu d’étendre sur lui sa miséricorde en arabe. Différents interlocuteurs me font remarquer que les nouvelles mosquées ont des coupoles bien rondes, et ne sont donc plus adaptées à la neige qui s’accumule en hiver sur les toits. J’ai pu voir l’exemple le plus impressionnant de cette architecture nouvelle (quoique banale au Moyen-Orient) sur la route qui mène de Tuzla à Sarajevo : dans la nuit, entre deux lacets de cette route qui serpente entre les forêts et les montagnes de Bosnie, une mosquée de verre m’est apparue. Elle était entièrement éclairée au néon, et on y distinguait clairement les femmes à l’étage supérieur, et les hommes au rez-de-chaussée. Dans le minaret, également éclairé de blanc, on pouvait distinguer les escaliers en colimaçon qui grimpaient jusqu’aux haut-parleurs. Tout s’y donnait à voir, et les fidèles, illuminés, semblaient suspendus dans le noir de la nuit environnante…
Une semaine sans connexion Internet, et j’en ai presque oublié que mon pays n’en finit pas de traverser une période difficile. Arrivée à Londres, après avoir quitté Tuzla de nuit, dormi à Sarajevo, puis fait escale à Milan et à Paris, je voguais encore entre deux villes, mon corps ayant traversé l’Europe plus vite que mon esprit. Beyrouth me paraissait loin. Le Liban et l’Empire ottoman se confondaient dans mon esprit, perdus dans des paysages entre le XVIe et le XXe siècle.
Profitant d’une pause inespérée dans un week end intense, je me suis connectée au Net. Sur msn, nous avons bavardé avec le bout d’habit, discutant de la dernière publicité du Tube londonien, qui vantait les mérites d’une entreprise de fabrication de neige artificielle. Le slogan m’avait frappée, et s’était attiré les foudres des écologistes qui m’accompagnaient. Il clamait : "Not only have we re-invented snow… but we also made it profitable". Je n’ai toujours pas les mots qu’il faut pour exprimer clairement l’étonnement (et le vague malaise ?) que j’ai ressenti : du Mistral à l’iPod, le progrès industriel et technique de notre époque est proprement impressionnant ; mais d’aucuns me sidèrent par leur façon de considérer tout ce que ce monde comprend comme un bien matériel et échangeable, pouvant être produit en série et vendu de New York à Moscou en passant par Cape Town. Du bout d’habit, la photo d’un skieur sous les néons, dans un immense hangar à neige, finit par me faire rigoler.
Puis, au détour de la conversation, j’apprends que 3 roquettes ont explosé dans le centre-ville de Beyrouth : les deux premières en l’air, et la troisième au Bouddha bar, bâtiment jouxtant celui des Nations Unies. Mes considérations sur la mondialisation et l’écologie se sont soudainement volatilisées, et je me suis mise à traquer l’information sur les sites du Nahar, de la BBC ou de Google News. Partout, on n’annonçait que l’arrivée de la marine allemande à Beyrouth. Le seul article disponible débattait de la nature des engins, roquette ou RPG (Rocket Propelled Grenade). Le site du Tayyar ne présentait que la commémoration du 13 octobre (1990, lorsque le Général Aoun a dû fuir le Liban, avant l’irruption humiliante des barrages syriens dans une région qui n’en avait jamais vus). J’étais désespérée : impossible de s’éloigner de ce pays, impossible de s’octroyer une trêve, impossible d’oublier ma libanité, ni à Paris, ni à Tuzla, et encore moins à Londres.
Pourtant, l’événement semblait insignifiant, et du bout d’habit à Earl's Court, nous avons choisi de rester optimistes. Nous nous sommes ironiquement consolés d’avoir encore les mêmes dirigeants depuis 30 ans : eux, au moins, ne peuvent pas être tentés de se relancer dans un conflit meurtrier interne ; ils ont déjà goûté à la poudre, et en sont revenus. En 2005, la réapparition des sacs de sable, entassés devant le bâtiment de l’Escwa au centre-ville, m’avait fait un drôle d’effet, comme un terrible flash-back vers des souvenirs enfouis.
J’ai finalement passé trop peu de temps à Sarajevo pour pouvoir vraiment la décrire ici, mais c’est indéniablement une ville de mélanges. Les quelques lieux branchés que nous avons vus m’ont fait fortement penser à ceux de Beyrouth : il y régnait un mélange de bonne humeur et d’originalité qui n’existe ni à Paris, ni à Londres, mais peut-être un peu dans des villes plus jeunes, comme Barcelone. J’ai tout de même réussi à faire un saut à la librairie Šahinpašić, Soukbunar 12, où je me suis laissée imprégner par les livres bosniaques, impeccablement rangés sur des étagères de bois sombre, dans un espace lumineux et haut sous plafond. Je m’y suis sentie bien, et me suis assise sur un banc, laissant le vendeur me faire admirer un livre de croquis sur sa ville : en marron sur fond beige, j’ai revu, l’espace d’une minute, tous les bâtiments historiques que j’avais admirés la veille, en savourant un épi de maïs bouilli dans les rues de Sarajevo.
De retour dans ma ville-lumière, c'est ma connexion Internet retrouvée que je savoure à présent avec joie...
2 commentaires:
vraiment bien.. surtout pr ns a beyrouth qui avons parfois le sentiment d etouffer.. tu ns emmenes 1 peu avec toi..
toujours le même plaisir de te lire... bises et à bientôt
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