Blue Beirut
Ce soir, j'ai écouté Thomas Fersen. Sa voix rauque et sa poésie musicale correspondaient bien à mon tempo, légèrement bluesique.
Ces derniers jours, comme d'habitude pourrais-je bientôt dire, j'ai parcouru les blogs que j'apprécie.
J'ai aussi parcouru des blogs que j'aime moins, et participé à un débat sur le retour du Mahdi. J'essaye encore de savoir si Ahmedinejad a vraiment prédit ce retour pour 2009.
Et je serais peut-être encore en train de me débattre entre une fatigue chronique et une nostalgie incompréhensible, si un mail de Beyrouth n'avait pas résumé, en quelques mots, ce qui me tourmente la conscience :
"Ici, tout le monde fait comme s'il n'y avait pas eu de guerre. Une chose a changé pour moi, je ne suis plus (...) les nouvelles".
De fait, je réalise que moi non plus, je ne suis plus les nouvelles. Je suis au courant du coup d'état en Thaïlande et des émeutes de Budapest. Je sais que les otages français sont de retour du Yémen. Sur un site de l'Université de Laval, je me passionne pour la genèse de la guerre au Kosovo, et le débat autour de sa potentielle / probable indépendance me fait réfléchir :
"(...) Dans ce cas, comment refuser aux Serbes et aux Croates de la Bosnie ce qu'on aurait accordé aux Albanais du Kosovo? (...) Sans parler des revendications des Albanais de la Macédoine, de la Hongrie sur la Voïvodine, de la Bulgarie et de la Grèce sur la Macédoine, de la Grèce sur l'Épire albanais, etc. La recomposition ethnique qui s'y annonce pourrait déboucher sur des décennies de combats, de massacres et d'épurations ethniques".
Par contre, je ne me tiens que vaguement au courant des polémiques entre Bucarest et Beyrouth. Je n'épluche plus les journaux arabophones, anglophones et francophones, les sites des partis politiques et les chroniques hebdomadaires du Moyen-Orient. Je vais au cinéma et au théâtre plutôt que de regarder Marcel Ghanem, et culpabilise de faire baisser l'audimat européen de la LBC et de la Future. Mais les nouvelles de Beyrouth me dégoûtent, et me paraissent toutes aussi futiles que cet article du Nahar, consacré aux animaux abandonnés par leurs propriétaires, que l'on songe enfin à rapatrier.
Sur BloggingBeirut, la dernière vidéo fait ressurgir des images que j'avais oubliées : l'ancienne place des Martyrs, les jupes de ma mère telles qu'elles sont fixées sur de vieux clichés des années 70, et le tarbouche de mon grand-père. La vidéo se termine sur un bus Fargo, un autocar comme j'en ai pris pendant des années pour aller à l'école, un bus plein de palestiniens qui traversait Aïn el Remmaneh le 13 avril 1975, alors que le projet même de mon existence n'était pas encore entamé... Ce bus, sur lequel des miliciens armés de kalachs (raccourci courant pour kalachnikov) ont tiré, allait officiellement marquer le début d'une guerre qui me verra naître, puis grandir, et qui finira un jour de mes 13 ans, sans que je n'en comprenne vraiment ni les tenants, ni les aboutissants, soit sans représenter pour moi autre chose que le théâtre de ma vie quotidienne : des pannes de courant, des changements successifs de domicile, et l'espoir secret de ne pas aller à l'école. Si j'ai eu quelques fois peur, ma mémoire d'adulte n'en garde pas le moindre souvenir. Je me souviens simplement du bruit de cette assiette qui m'avait échappé des mains, et qui s'était fracassée sur le sol dans l'indifférence générale : le son m'avait semblé apocalyptique, mais aucun adulte n'avait bronché. J'en avais gardé un sentiment d'étrangeté, comme un malaise inexpliqué. Normalement, il aurait dû se passer quelque chose. De ce rien, j'avais compris qu'il se passait autre chose de plus grave.
Lebanon Shot twice s'ouvre sur la carcasse du fameux bus, mitraillé en 1975, aujourd'hui abandonné dans un terrain vague. J'ai voulu replonger dans les images de cet album de photos, saisissantes prises de vues en noir et blanc de 1976, reprises plus de 20 ans plus tard, avec les mêmes protagonistes mais en couleurs. J'ai réalisé que ce livre avait fait un aller-retour Beyrouth-Paris-Beyrouth, et qu'il m'y attend désormais avec l'ensemble de ce qu'il me semblait inconcevable de confier à un déménageur. Coincée à Beyrouth au mois de juillet 2006, j'avais maintes fois ri de l'ironie de la situation.
Bluesique d'un soir, le miracle du Net me permet d'écouter un morceau de My Blue Beyrouth. Je souris doucement en pensant à ma ville... Et je rentre me coucher en fredonnant, avec l'image magique d'une artiste sans accompagnateur, chantant en solo dans un appartement parisien, devant un groupe de libanais hypnotisés :
"Hey my blue baie routeDe ce chemin avec toiTes empreintes sur mes routesJe suis partie pour d’autres villesTes rêves ancrés en moi"
5 commentaires:
Hello Nad...Moins de commentaires sur votre blog, c'est sans doute le desinteressement des evenements au Liban. Comme on dit chez nous : chi bi arrif. La politique bien sur et surtout la politique politicienne a la libanaise. Du jamais vu...Nous pretons allegeance a tout le monde sauf a ce pauvre pays destine sans doute depuis des siecles a etre le paillasson des divers conquerants...Mais courage, le Liban s'en remettra(encore une fois) a condition d'eduquer nos enfants ,des l'ecole, a l'amour du pays et non a l'amour de l'argent..Voila je vous souhaite une bonne continuation dans vos ecrits et surtout des jours meilleurs. Moi j'ai vecu 1958 et 1975 et maintenant 2006...j'ai donc l'esperience de la vie et regrette une seule chose, c'est d'avoir ete oblige de travailler (je continue) a l'etranger pour subsister et eduquer mes filles. Voila, ciao...
L'amour du pays est inné,on ne l'éduque pas, il n'est pas acquis.
Mais on apprend à nos enfants que le liban s'en remettra encore une fois, que l'espoir persiste en dépit de ts les évènements qui nous on été
imposés.
J'espère que je vais pouvoir élever mes enfants au liban, c'est vrai que moi aussi je suis obligée de faire ma vie à l'étranger mais je m'accroche et me destine au fait que je vais rentrer bientot et faire ma vie là bas, rien ne vaut la vie au LIBAN
Nad, tes pensées sont remarquables et prêtent à attention.
Bon courage et bonne continuation...
Pas drole quand tu ne postes pas tout les jours....ca nous manque
Rien ne justifiait au monde ce bus mitraillé, mais pour l'amour du Ciel, la guerre a commencé le matin de ce jour-là, avant, quand on a tiré sur des gens à la sortie d'une église...Je n'ai jamais compris pourquoi cette histoire à l'église a toujours été passée par une trappe de l'Histoire.
Nad, yesterday I happened to see part of a news report on LBC news that dealt with the construction plans in the area of Gemmayzeh, apparently many streets would lose those characteristics that make them so special and so unique if that plan is to be implemented. Many people would nostalgically look out their windows in search of those familiar scenes ... However it seems that some ppl are acting up and several architects spoke up within that report. Hope sthg will be done. Wish I saw the whole thing so I could communicate accurately. Nice week ahead to u :)
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