La troisième voie dans le mur
La journée s'est terminée dans le calme. Mais avant d'écrire ces mots, j'ai pris la précaution de vérifier que tout allait encore bien.
Ma joie du matin a cédé la place à la rage. Ce soir, le bilan de la situation est le suivant :
- Israël affirme avoir détruit l'essentiel de l'arsenal militaire du Hezb, et crie victoire : hier pourtant, le Hezb tirait plus d'une centaine de roquettes sur le nord d'Israël et Livni trouvait impossible de le désarmer par la force ;
- Le Hezb est plus triomphant que jamais : avec 5.000 hommes, il en a tenu 30.000 en échec, et a résisté à l'armée qui a défait les alliés arabes en 67 (il y a près de 40 ans).
Le blocus n'est pas encore levé. Les routes abîmées et les 80 ponts démolis sont estimés à 2 Mds $. 15.000 habitations ont été totalement détruites. Il faudra compter deux années de (re)construction pour effacer les traces de ce mois de destruction. 50.000 libanais et 85.000 occidentaux ont quitté le pays, certains pour toujours. Tsahal s'est retiré de Marjayoun, et la FINUL se charge du transfert des éléments isolés des deux camps. Les camions sont de retour sur les routes, et plus particulièrement celles du Sud : demain, un convoi humanitaire se dirigera vers Ain Ebel. Sultan Sleiman, reporter de la LBC dont j'ai, tous les jours, attendu les commentaires et salué le courage, a poussé jusqu'à Bent Jbeil par la route de Tebnine. Il en a rapporté cette phrase, terrible :
دمار و خراب و قتل للحجر و البشر و الشجر
(destruction, démolition et mort, pour les pierres, les arbres et les hommes)
20:20 : régulier comme une horloge suisse, SHN a encore interrompu les infos sans prévenir. Il a commencé par saluer la victoire stratégique et historique du Liban, de la résistance et de la oumma. Il a ensuite promis, dès demain (dès demain !), une aide aux réfugiés : à ceux dont les maisons sont encore habitables, les "chabeb" (jeunes hommes) prêteront main forte ; à ceux dont les maisons n'existent plus, le Hezb prendra à sa charge une année de loyer et tous les frais de ré-ameublement, sans attendre le gouvernement, décrété trop lent à agir. Qui pourra, dès demain, proposer mieux ? Le sayyed a finalement reproché à certaines factions leur langue de bois au sujet des armes de la résistance, et a ramené, encore et toujours, l'histoire de Chebaa, des prisonniers et de la sécurité du Liban (qui ne saurait être, à date, assurée par l'armée et la FINUL). Il se dit prêt à dialoguer, arguant toutefois d'une autre histoire d'oeuf et de poule : non, il ne faut pas que le Hezb rende ses armes pour qu'un Etat fort, équitable et rassurant puisse se constituer ; il faudrait au contraire que cet Etat fort se construise pour que le Hezb rende ses armes. En bref, c'est le retour à la case départ.
Pour une fois, le JT de France 2 a admirablement bien résumé la situation. Loïc de la Mornais expliquait :
"Le vrai bilan, c'est un million de réfugiés, le Hezbollah renforcé, et de la haine pour les générations à venir".
A quoi donc aura servi ce dernier mois, à part à museler les voix de la raison et à malmener les tempérés des deux bords ? A ces centaines de milliers de personnes qui ont vécu un mois d'enfer, comment pourrais-je, moi, expliquer qu'il faut s'efforcer de vouloir la paix et que tous les israéliens ne sont pas des diables ? Quels arguments pourrais-je déployer face à ceux qui ont perdu un enfant, un père, un ami, un bras ou une maison ? Parmi les réfugiés qui s'empressaient de rentrer chez eux aujourd'hui, il y en a un qui a attiré mon attention. Il disait : "Maintenant, on a appris à nos enfants pourquoi Israël ne doit pas exister". J'ai eu envie de pleurer.
En Israël, l'heure du rendement des comptes a sonné : Olmert, Peretz et Livni doivent s'expliquer devant l'opposition. J'en suis ravie. Mais qui, chez nous, pourra critiquer le Hezb sans que l'on ne brandisse le spectre de la guerre civile ? Exactement comme à Paris, où il est quasiment impossible de ne pas être partisan d'Israël sans être taxé d'antisémite (même lorsqu'on est sémite), il sera difficile à Beyrouth d'en vouloir au Hezb sans être traité de traître sioniste fauteur de troubles civils. J'ai beau chercher la troisième voie, il est des jours où je n'en distingue pas même l'ébauche.
Hier encore, je caressais l'espoir que le gouvernement Olmert et le Hezb soient les grands perdants de cette guerre, et nous, les vainqueurs. Aujourd'hui, c'est exactement l'inverse qui s'est produit. A moi, à la majorité silencieuse et à ceux qui refusent la violence autant qu'ils refusent l'idéologie du Hezb, il nous reste nos yeux pour pleurer, et nos manches à retrousser pour les décades à venir.
A moins que la partie ne soit pas encore finie... Attendons voir.
2 commentaires:
The issue lies in the hands of the politicians and the media who are strongly adopting a 'with me or against me' theory. Through intimidation, free speech is attacked and those who want to critisize a situation will choose not to.
You will see this more of this attitude in mainstream media in the United States and France; however, critical thinking will continue to prevail among big thinkers and strategists and in news outlets with smaller publications that target a more analytical readership.
I genuinly believe the media in both Lebanon and Israel is more vibrant and critical. Given some time, Lebanese journalists through editorials will be demanding explanations and questioning Hezbollah's strategies and their impact on the Lebanese economy. It remains to be seen if the Lebanese political class will stand up and explain itself to the citizens of the Land of Cedars.
Freedom of press is also well established in Israel. It is also reflected in this country's political class where Olmert, Peretz, and to a lesser extent Livni are pressed to explain themselves and take blame for their actions. I have yet to see this in the United States, France, or Lebanon.
magnifique témoignage encore ici, cher Nadine...
oui, de nos sourires ici de voir enfin le Liban respire un souffle de paix, et pourtant il y a toutes ses questions...pourquoi ??? pourquoi tant de morts, de personnes sans plus rien, de souffrances, de peur...Mais doit on chercher une excuse à tous ses morts, doit chercher une raison, les faits sont là...et du pourquoi, il ne faut juste retenir que ce brin de paix, car oui il faut encore attendre...espérer...
Qu'une fois encore le liban se relève, se reconstruise, est ce cela qui fait si peur que ce pays se reconstruise, qu'on décide de la détruire réguliérement !!!!
tu as raison Nadine, à vous la jeunesse il vaudra lever les manches pour des décades, mais le pays aux grands cédres en vaut la peine...
pensées de France, toujours présente vers vous, vers la liberté et la paix
nathalie
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