vendredi 4 août 2006

Ca barde

Ce soir aussi, nous avons du courant. Je jubile de cette chose si normale. Je me rappelle qu'à Paris, je ne dispose ni de torche électrique, ni de bougies, ni d'allumettes.
Aux infos de ce soir, rien de très neuf, en dépit des déclarations musclées des deux camps : à en croire les militaires israéliens, Tsahal l'emporte ; aux dires du Cheikh Hassan, le Hezb résiste et résistera toujours aux envahisseurs. Ailleurs, on hésite entre un cessez-le-feu conditionnel ou inconditionnel. Bush et Blair disent souhaiter une résolution de l'ONU dans les prochains jours. Condie prône le vendredi, achevant ainsi de décrédibiliser l'ONU. Douste y met aussi du sien en demandant un "accord politique durable", et une force multi-nationale "pour permettre à l'armée libanaise d'entrer au Liban Sud". Assad promet de faire pression pour calmer le Hezb.
Pendant ce temps, même sur Google Earth, le Sud fume. J'ai reçu par mail les images satellitaires d'un village libanais avant et après l'incursion des chars israéliens. Ce soir, il semblerait que le Venezuela veuille rappeler son ambassadeur en Israël. Nous sommes plusieurs à en sourire.
A 20h20, Cheikh Hassan a fait son apparition sur nos écrans, interrompant le JT. Son discours était d'une durée anormalement longue : il a parlé pendant 45 minutes. Je n'ai pas réussi à me concentrer tout le temps, mais, en bref, il a répété que c'est Israël qui a déclaré la guerre au Liban et il a apporté son éclairage sur les combats terrestres, maritimes et aériens. Il a déroulé sa stratégie (attirer les chars dans les villages pour faire le plus grand nombre de victimes). Il a donné une profusion de détails géographiques dont il est impossible de vérifier la véracité. Il a dénoncé la désinformation sioniste et la guerre des nerfs. Il a martelé son mépris de Tsahal et du gouvernement israélien qui serait "idiot, stupide et ignorant". Il a félicité Israël pour le massacre de Qana et pour le kidnapping d'un faux Hassan Nasrallah par les commandos de Baalbeck (que ce fait avéré ait été perpétré volontairement ou pas, il ridiculise certainement Tsahal aux yeux de la population libanaise). Il a dénoncé le plan américain au Moyen-Orient. Il a enfin menacé de frapper Tel Aviv si Beyrouth était bombardée. La réponse israélienne a été immédiate : si Tel Aviv est touchée, c'est l'intégralité de l'infrastructure libanaise qui sera démolie (autrement dit, plus d'autoroutes, plus d'électricité, plus de téléphones). Je ne comprends pas pourquoi nous devrons tous payer pour les bêtises des uns et des autres.
La destruction n'est pas encore finie que les aides affluent de toutes parts, des Etats-Unis (qui soutiennent encore quelques jours de destruction) comme des Emirats Arabes Unis (qui musèlent les blogs libanais). Ici, nous nous demandons déjà comment nous ferons pour éviter la corruption, pour qu'un Ministère des Réfugiés ne détourne pas la moitié des fonds, et pour que le Conseil du Sud ne lance pas des appels d'offres bidons.
03:30, début d'innombrables déflagrations à Dahyé et raids incessants sur Ouzai (16 à l'heure de la publication de ce post). Parfois, je ne les entends pas, mais les vitres tremblent un peu. Les avions et les drones volent particulièrement bas. La nuit est agitée. Beyrouth recommence à brûler. Je pense à ses habitants, et j'ai envie de reprendre le mail qui circule depuis hier :
"(...) Nous dénonçons l'injonction faite par Israël à nos concitoyens des villes et villages du sud à fuir leurs domiciles sous peine d'y mourir sous les bombes. (...) Nous ne tolérons pas qu'Israël invoque ces sommations pour se dédouaner ensuite des crimes perpétrés par son armée. (...) Qu'une telle intimation soit perçue et admise comme la bienveillante humanité du gouvernement Israélien envers les Libanais est inacceptable. Qu'elle serve en outre à acquitter a posteriori Israël de sa responsabilité dans les massacres de civils n'est pas tolérable (...)".
En dehors de ce qui est tolérable ou pas (dans la guerre, je ne vois pas bien ce qui pourrait être tolérable), ce qui me fait le plus réfléchir, c'est que dans le fait d'être "prié de partir", personne ne se demande vers où, ni comment, ni pourquoi. Est-ce que quelqu'un comprend que certains préfèrent risquer la mort chez eux, plutôt que de rejoindre des milliers de personnes dans les écoles publiques ? Charcha7a (traduction difficile, notion proche de la perte de toute dignité humaine, pour longtemps et en public). Par ailleurs, et à supposer même que Tsahal démolisse systématiquement, à la dynamite ou avec des missiles, tous les villages de la région frontalière, sur 6 Kms à l'intérieur des terres libanaises : est-ce que la portée des missiles du Hezb (pouvant dépasser les 100 Kms) changera quelque chose à la "menace" qui pèse sur Israël ? Quelque chose dans la stratégie militaire m'échappe fondamentalement.
Au Kayan, une journaliste est arrivée pour interviewer ceux qui tentaient de boire un verre en toute tranquillité. A sa question : "Pourquoi êtes-vous là en ce moment ?", quelqu'un a très judicieusement répondu : "Après une journée entière à oeuvrer pour les réfugiés, nous décompressons un peu". Et paf ! Non, nous ne faisons pas la fête à Gemmayzé. Nous ne la faisons pas à Hamra non plus. Je ne sais pas si d'aucuns la font à Faraya autrement que pour tenter d'oublier. Nous errons de bar en café, l'espace d'une ou deux heures, faisant des pronostics sur l'avenir, tentant de nous réconforter les uns les autres et d'occulter l'écran télévisé qui nous suit désormais partout. Pour détendre l'atmosphère, nous échangeons les dernières blagues, toutes teintées d'un humour noir qui ferait bondir ceux qui n'admettent pas que l'on puisse rire de tout.
Moi, pourtant, je ris de (presque) tout. Je fais parfois la grimace. Et je tente inlassablement d'expliquer qu'il faut refuser l'escalade de la violence. La refuser à tout prix. Ne pas entrer dans le cycle infernal "Israël a commencé / Le Hezb a commencé". Condamner également un camp et l'autre. Refuser l'injustice, mais résister à la tentation de se faire justice soi-même. Ne pas vouloir que les comptes soient réglés en dehors des tribunaux. Combattre la misère économique et intellectuelle plutôt que le Hezb. Et non pas par les armes, mais par les écoles, les hôpitaux, et un minimum de service public.
Un soir sur deux, j'arrive à convaincre quelqu'un. Est-ce qu'un jour, j'arriverai à convaincre les rares israéliens qui lisent ce blog de militer aussi pour la résolution des conflits par le dialogue ?

2 commentaires:

yasmina a dit…

mais tu restes debout toute la nuit? comment tu fais pour tenir un compte aussi precis de toutes les peregrinations des costumes cravates et des obus et des humains? chapeau, nadine, et biz....

Anonyme a dit…

"Ne pas vouloir que les comptes soient réglés en dehors des tribunaux"

Il est là le problème, il n'y a pas de cour de justice internationale efficace.

San.