dimanche 16 juillet 2006

C'est déjà demain

J'ai été faire un tour en ville et prendre une douche chez des potes (ils ont un puits artésien - nous continuons d'utiliser l'eau avec précaution). J'ai pu constater par moi-même que les rues de Beyrouth sont désertes : quelques chats dans les rues, de trop rares voitures garées sur les côtés, cafés et bars fermés, à l'exception d'un Torino bondé...
Je reçois des coups de fils affolés de l'étranger. Paris et Londres sont en émoi, ou tout du moins, les libanais qui y résident. Je ris et partage volontiers au téléphone la frivolité de ces moments où l'on s'efforce de rire malgré tout. Je sais pourtant pertinemment que, de retour à Paris, j'aurai le coeur moins léger. Là-bas, il faut à tout prix "faire quelque chose". Ici, on sait pertinemment que toute action est vaine, et l'on attend que l'orage passe avec autant de philosophie voltairienne que possible.
Toute à l'heure, j'ai vu mon premier champignon de fumée.
Ca ne rend toutefois pas les choses plus réelles : bêtement, ça ressemble à ce que l'on peut voir à la télévision ; une fusée en éclaireur, une explosion, et un gros nuage noir qui disparaît en quelques minutes ; puis, de nouveau, le calme, le son des télévisions voisines, le rire d'un voisin... Les déflagrations se poursuivent, les sirènes des voitures se font entendre de plus en plus souvent, mais les avions que l'on entend bourdonner, eux, sont déjà loin. Mes pensées se perdent dans les 11 dimensions d'Einstein, l'écart de vitesse entre le son et la lumière, et les films de science fiction de mon enfance : en 88, la LBC (Lebanese Broadcasting Company) passait Star Wars en boucle.
La routine a quelque chose d'implacablement dur. La LBC de ce soir passe un film américain, après un débat acharné chez Marcel Ghanem (célèbre animateur d'émissions politiques) : la dizaine de déflagrations qui viennent de se produire laissent mon écran télévisé vierge de toute "information urgente". Il aura suffi de 72h pour que l'impensable (re)devienne une habitude.
Au JT de Béatrice Schonberg, les images de quelques israéliens en état de choc suite au tir des 8 katioucha du Hezb m'ont laissée pensive. Pendant de longues années en France, je me suis toujours demandé pourquoi les libanais, eux, ne faisaient pas l'objet des mêmes commentaires après avoir vécu les mêmes choses, voire pire... ? A vrai dire, "en état de choc" me choque un peu... Mais enfin, je me suis promise de ne pas être partisane dans ce blog.
Pour le détail, un extrait de Wikipedia sur "Katioucha" :
La katyusha ou katioucha (Petite Catherine en russe) est le surnom donné par les soviétiques à un lance-roquette en rafales de la Seconde Guerre mondiale. (...) Sa formidable puissance de feu était néanmoins compensée par une forte imprécision du tir.
Je suppose qu'il est inutile de se demander si les missiles qu'Israël déverse généreusement sur le Liban datent de moins de 60 ans... Les conflits du Proche-Orient, qui ont marqué mon existence jusqu'ici, me font toujours penser à l'image de David contre Goliath, I Samuel 17, telle qu'elle est dessinée dans la Bible illustrée de mon enfance (pour garçons et filles - tout en couleurs, aux éditions des deux coqs d'or).
Demain matin, nous commémorerons le neuvième jour de la disparition de mon père. La raison même de ma venue au Liban me semble aujourd'hui très lointaine. L'ampleur, la tournure et la vitesse des événements qui ont suivi est telle que nous en restons tous un peu confondus.
Nos fenêtres ont encore tremblé. J'ai beau m'y attendre, les déflagrations surprennent toujours. Je profite d'une accalmie pour rentrer me coucher.
Demain sera un autre jour.

3 commentaires:

Unknown a dit…

J'aime ce que tu écris, mais je ne veux plus pleurer.

Karim El-Khazen a dit…

Thanks pour ce Blog ya Nad :) Parmi les premiers sites que j'ai lu ce matin...

Voitachewski a dit…

Salut Nadine et merci pour ce blog!
On pense à toi. Hier, avec Vera et une autre amie, on a rejoint Joe au Trocadéro... Il faut que tout cela se termine au plus vite!