dimanche 29 octobre 2006

Curiosités socio-architecturales

J'ai un vieil ami architecte. Il fêtait son anniversaire il y a quelques jours. Il habite actuellement à Paris, après avoir grandi, avec moi, dans les rues de Beyrouth, et avoir émigré en Europe à l'âge de 17 ans. Aujourd'hui, c'est mon pote de toujours et je suis vaguement déçue de ne lui avoir souhaité son anniversaire qu'au téléphone : la distance qui sépare deux arrondissements de Paris, en cours de semaine, me semble parfois infiniment plus grande que celle qui sépare Paris de Beyrouth.
A Beyrouth, les choses auraient été plus simples. Pourquoi, je ne saurais le dire. Mais à Beyrouth, je sais que je n'aurais pas attendu le week end pour embrasser un ami d'enfance. Parfois, je rêve simplement d'avoir tous mes amis réunis dans une même ville. De ne plus nous savoir éclatés aux quatre coins du monde : Tokyo, Montréal, New York, Atlanta, Mexico, Londres, Paris, Bruxelles, Prague, le bout d'habit... et Beyrouth. Dans chacune de ces villes, il y a au moins une voix que j'aime. Ces voix, qui restent longtemps muettes ou purement électoniques, prennent parfois corps, de façon plus ou moins inattendue, au gré des déplacements des uns et des autres. Ces dernières années, le développement de la voix sur IP, des Skype, msn, Freebox et autres bijoux de la technologie, ont rendu la distance plus supportable, et ces voix du bout du monde se font plus régulièrement entendre : elles émanent souvent de mon ordinateur, et chauffent mon chez-moi d'une amitié tout à coup moins virtuelle, que nous tentons tous de préserver de l'épreuve terrible du temps et de la distance. Pour nous, nomades du XXIe siècle, entre l'envie de se fixer quelque part et la réalisation de cette même envie, une ou plusieurs tranches de vie se seront généralement écoulées. Et entre les deux, il y aura eu des hésitations de toute sorte, des aller-retours incessants vers Beyrouth, des échanges, des déchirements et des retrouvailles innombrables.
A mon ami architecte et parisien, en attendant de partager le brunch du dimanche, j'aimerais offrir ces deux curiosités socio-architecturales qui m'ont fait réfléchir ce dernier mois.
La première est une église londonienne, récemment reconvertie en habitation. Le concept est assez stupéfiant puisqu'il consacre le fait que la notion du "sacré" est changeante dans l'espace et le temps. Sur Findaproperty.com, pour 250£ par semaine (1.500€ le mois), il est possible de louer un "neutrally decorated one bedroom apartment in this well maintained church conversion only minutes from Angel underground and Upper Street". Récemment de passage à Londres, j'avais pu attester de mes propres yeux l'existence de cette église. A Milan, il y a quelques années, nous avions pris un verre dans un bâtiment religieux reconverti en bar. Nous vivons décidément dans un monde à deux vitesses.
La deuxième curiosité est une toilette publique, quelque part en Suisse. A première vue, la construction est anodine, et ressemble à ce que l'on croise encore, de temps en temps, dans les rues de Paris, à cette différence près que les parois extérieures de la cabine sont en miroir plutôt qu'en béton. Mais une fois à l'intérieur, on réalise que l'on peut observer l'extérieur, et voir sans pour autant être vu. La situation est d'autant plus troublante qu'elle relève, autour du puissant concept de l'intimité, des notions relatives et changeantes...

dimanche 22 octobre 2006

De la limonade au Picon bière

Bien avant mon arrivée à Paris à l’âge de 20 ans, c’est au Liban que j'avais appris l’histoire de France et le français. A la maison, pour apprendre à parler correctement (et ensuite par habitude), je m’exprimais essentiellement en français avec ma mère, et en arabe avec mon père. A l'école, l'enseignement se faisait simultanément en arabe et en français : matières scientifiques en français (math et sciences naturelles, puis physique, chimie, et biologie - en distinguant les deux bacs) et double programme en sciences humaines (grammaire et vocabulaire, puis littérature, histoire, géographie, et philosophie). L’essentiel de mon vocabulaire français était donc académique, glané dans des Bordas, des Folio ou des Casterman. Il se teintait toutefois d’un certain nombre d’expressions d’usage courant au Liban, littéralement traduites de l’arabe et totalement incorrectes en français, que les libanais appellent communément des "libanismes". Ces "libanismes", j’entendais les adultes les dénoncer, parfois en riant, et parfois en les déplorant. J’en commettais moi-même et, de temps en temps, parents ou professeurs me corrigeaient une syntaxe erronée. Au fil des années, j'ai progressivement banni de mon langage les tournures du type "je passe te prendre", "je suis montée à la montagne" ou "j’ai demandé une question". Mais, si je faisais attention aux locutions que j’employais, je n'ai jamais appris à me méfier des mots en eux-mêmes, ni à en vérifier la prononciation ou le sens (voire l'existence) dans le dictionnaire : du coup, et sans que je m’en doute le moins du monde, la voie de mon langage était pavée d’inévitables malentendus futurs.

Mon premier choc linguistico-culturel eut donc lieu en 1997, à un mois de mon arrivée en France. Après avoir longuement sillonné les rues de Paris au mois d’août, étouffant sous le soleil en l’absence de toute brise marine, je m'étais posée dans l'un de ces innombrables cafés qui parsèment la ville. Assoiffée, je rêvais d'une limonade bien fraîche. La limonade libanaise (limonâda) est un savant dosage de jus de citron, de sucre et de glace, parfois accompagné de quelques gouttes de ma'zahr (ie, eau de fleurs d'oranger). Le tout forme un mélange liquide d'un jaune transparent que seuls ma nounou et Hilmi, à Batroun (ville du Nord du Liban), réussissent à merveille. Assise sur une terrasse parisienne, j'ai été ravie d'apprendre que je pouvais en commander une. Prudente, j'ai interrogé le serveur :
- Bonjour Monsieur, est-ce que vous avez de la limonade ? (comprendre, de la limonade libanaise)
- Oui, Madame.
- Fraîche ? (comprendre, fraîchement pressée)
- Bien sûr, Madame.
- C'est parfait ! J'en prends une, s'il vous plaît.

J'étais enchantée. D'un coup, ma soif devenait tout à fait supportable, tandis que j'imaginais les gouttes d'eau se condenser sur un large verre de limonade. Je savourais d'avance le breuvage imminent, me laissant transporter chez moi, respirant presque l’air marin de Batroun. J'avais bien une pointe de regret pour l'eau de fleurs d'oranger, que je savais improbable à Paris, mais j’étais à des milliers de lieues de penser qu’on allait me servir une bouteille de 33 cl d’eau gazeuse, froide et vaguement sucrée, sur laquelle il serait marqué en gras, police 16, "Limonade". J’étais sidérée. Je n’ai même pas pensé protester, et le serveur s’est éloigné sans se rendre compte de l’incroyable écart entre ce que j’avais commandé et ce qu’il m’avait servi. Puis, comme à chaque fois qu’il y a plus de peur que de mal, je me suis mise à rire. Et je dois avouer que je ris encore souvent de cette mésaventure.

Mais dans le socle de mon français jusque là sans failles, une brèche venait de s’ouvrir. Progressivement, je réalisais que le français que j’avais appris était non seulement éloigné de celui du parigot, mais que, souvent, nous n’avions pas les mêmes référents : le français enseigné à l’étranger garde un cadre rigide et bien défini, dont les modifications restent à jamais illégitimes. Pour les francophones, le dictionnaire demeure le référent ultime de la lettre, et il est impensable d'en bouleverser l'ordre. Leur français est donc parfois désuet, et a toujours quelques années de retard sur celui de la Capitale (comprendre, Paris). Si par exemple le mot "chalumeau" est bien synonyme de "paille" dans le Petit Robert, il ne viendrait jamais à l’idée d’un parisien de s'en servir autrement que pour souder, alors qu’il est fréquent pour un libanais de se faire servir son coca avec un chalumeau de plastique blanc, rayé de toutes les couleurs et recourbé au bout.

Au fil du temps, je me suis donc construit mon propre dictionnaire libano-français, apprenant à distinguer, au sein des génériques libanais (ex : crayon mine), des termes plus spécifiques (ex : crayons à papier ou porte-mines). A force de susciter l’hilarité de mes collègues et amis, j’ai appris, en riant aussi, à prononcer hu-it plutôt que ouit, et ju-in plutôt que joint.

Fière de ma maîtrise de la langue française, heureuse de fouler la terre de France et d’appartenir enfin au peuple intimement lié dans mon esprit à la Liberté, à l’Egalité et à la Fraternité, je détestais qu’on apprécie mon "léger accent" au goût d’ailleurs. La première fois que j’ai entendu un marseillais s’exprimer, j’avais bien ri de son accent étranger : j’imaginai qu’il avait appris le français dans un village reculé du bout du monde. Aujourd’hui pourtant, je sais reconnaître l’accent belge du canadien, et le Corse du Bourguignon. Je ne me vexe plus lorsque mon interlocuteur détecte un mélange d’accents dans mon parler. J’adore l’accent de mes amis espagnols et italiens, et les anglicismes maladroits des canadiens. Moi-même, je confonds encore allègrement les piles avec les batteries, et je fais rire mes amis français avec mes boucles à cheveux, ma sale manie de quitter la maison pour les retrouver au cinoche, et mon hésitation au restaurant, quant il s’agit de faire la différence entre la carte et le menu.

Adolescente à Beyrouth, j’avais mis des années à comprendre l’intégralité des chansons de Renaud, et je profitais du retour passager de quelques amis, émigrés avant moi, pour me faire expliquer des phrases incompréhensibles comme "ils écrivent à Libé". Aujourd’hui, j’adore l’argot, la modernité poétique de Louise Attaque et l’habileté des Têtes Raides à jouer sur les mots. A peine arrivée à Roissy, je reprends inconsciemment un accent parisien qui n’en finit pas d’agacer mes amis au Liban, et que je mets, à chaque voyage là-bas, quelques jours à perdre. Mais à Beyrouth, au bout de 2 ou 3 jours, je retrouve l’accent indolent des libanais, et je prends autant de plaisir à faire traîner certaines syllabes, que j’en prends à déformer le oui en un "ouais" négligé à Paris.

Dernière énigme de ce post. Au Liban, le Picon est un fromage industriel et crémeux, similaire à La vache qui rit mais au goût plus prononcé, "le goût de la tradition française", comme on peut lire sur la boîte rouge. Dans mon appartement parisien, je ris de cette description si véridique, retrouvée sur le site du groupe Bel : "Depuis près de quarante ans, toutes les familles du Liban connaissent et apprécient le fromage Picon® qu’elles se transmettent de génération en génération". Pour un peu, le Picon libanais aurait la valeur des montres suisses Patek Philippe, dont la publicité récente affirmait : "You never actually own a Patek Philippe... You merely take care of it for the next generation".
Dans une boîte de Picon, on retrouve huit portions égales de fromage, enrobées dans une feuille dorée, et recouvertes d’un triangle qui reprend le triple sommet montagneux du logo. Quel libanais ne se souvient pas de la publicité de ce fromage des Alpes, qui commençait et se terminait par :
… جبنة بيكون جبنة فرنسية
Jebnet picon, jebné faransiyé…
(ie, le fromage picon, un fromage français...)
Grande fan de fromages, du Comté au Reblochon et au Saint Nectaire, j’aime encore, de temps en temps, étaler du Picon sur un morceau de pain libanais. Mais je le fais désormais en souriant, pensant à ces nombreuses années où, dans les cafés et les bars parisiens, j’étais très intriguée de retrouver le "Picon bière" de la chanson de Kaas, et me demandais régulièrement qui avait bien pu avoir l’idée saugrenue de dissoudre un morceau de Picon dans une bière…

mardi 17 octobre 2006

Back from Tuzla & London

Eurostar, Londres-Paris
Tuzla tient son nom du turc Tuz = sel.
La ville est pleine de mines de sel. Comme d’énormes derricks, les points de forage se dressent dans la partie nord de la ville, parfois en bois, mais le plus souvent en métal. A proximité, se dégage une forte odeur de soufre. Sous l’empire romain, la ville était déjà réputée pour l’excellente qualité de son sel et s’appelait alors Salines. Aujourd’hui, le centre-ville s’enfonce lentement en raison de la porosité du sous-sol. Les rues présentent d’étranges irrégularités à la surface, formant tantôt un creux, et tantôt une proéminence, comme autant de longues vagues d’asphalte. Le reste de la ville vit tranquillement, et s’étend progressivement d’est en ouest, le long des rivières Jala et Spreča, sans jamais penser se développer au nord ou au sud.

L’hôtel Tuzla est l’un des rares endroits qui puisse loger les touristes, généralement de passage pour des raisons professionnelles. L’immeuble d’une quinzaine d’étages, tout en béton gris, démesuré et étrangement conçu, est un de ces innombrables bâtiments hérités de l’ère soviétique. L’entrée est immense, et l’intérieur totalement désuet. De ma chambre, je ne voyais que des maisons et des immeubles plus petits, au loin, entre des parcelles cultivées en vert. La vue me faisait penser à ces images des villes nouvelles de Chine, glanées au gré de mes lectures, où la ville s’arrête brusquement et cède la place à la végétation. A 7h du matin, ma fenêtre était aussi blanche qu’une page Word : un brouillard dense et impénétrable emprisonnait les hauteurs de l’hôtel Tuzla, sans pour autant s’étendre jusqu’au rez-de-chaussée, où l’activité démarrait lentement. A 10h, les nuages se dissipaient, et un beau soleil illuminait la pierre jaune et les toits rouges de la ville. Vers 18h, au moment du crépuscule et du iftar concomitant, les mosquées restent discrètes. Dans l’air devenu plus frais, une odeur de charbon se répand et envahit progressivement toutes les rues de la ville.
Tuzla n’est pas une étape recommandée par mon Lonely Planet sur les Balkans. Pourtant, cette importante ville de province (150.000 à 200.000 habitants), qui vit à un rythme tranquille, n’est pas totalement dépourvue d’attraits.

A l’entrée, une gigantesque usine d’électricité se dresse. La proche banlieue regorge d’une activité industrielle telle qu’on n’en voit plus dans le paysage français : de gigantesques complexes en béton et des structures métalliques de tout genre traitent tantôt l’eau et tantôt le charbon. Relativement préservée pendant la guerre de Bosnie, Tuzla abrite encore une église russe orthodoxe, qui ressemble à une mosquée orientale dont on aurait troqué les minarets contre des tourelles au dôme arrondi. On y trouve également une église catholique, nouvellement reconstruire, blanche et anguleuse, dont le béton tranche fortement avec la pierre environnante. Partout ailleurs dans la ville, de vieilles mosquées parsèment le paysage : elles ont des âges différents, mais pratiquement toutes sont des bâtiments carrés avec de grandes fenêtres rectangulaires, flanqués d’un minaret de pierre sur le côté, et surplombés d’un toit rouge dont l’esthétique me ravissait et me nouait la gorge à la fois, en me ramenant immanquablement au toit menacé de la maison d’en face, à Beyrouth.

Dans les rues de la ville, l’immense majorité des passants sont vêtus selon les normes internationales en vigueur, dans le pur style made in China. Mais, une fois, et comme par hasard, des religieuses en robe noire, coiffées d’un voile qui dérobait leurs cheveux à mes regards, ont croisé d’autres femmes tout aussi intégralement voilées de noir. Ici, comme ailleurs en Europe, on se marie à la fois à la mairie et dans un établissement consacré à sa religion. Je pense au mariage civil, qui n’existe pas au Liban, et qui contraint les amoureux de religion différente à se marier dans une ville étrangère, à Chypre, à Paris ou ailleurs, selon les affinités.

Dans les cimetières bosniaques, les stèles funéraires sont souvent surmontées d’un turban, et les inscriptions présentent le regretté en caractères latins, mais demandent à Dieu d’étendre sur lui sa miséricorde en arabe. Différents interlocuteurs me font remarquer que les nouvelles mosquées ont des coupoles bien rondes, et ne sont donc plus adaptées à la neige qui s’accumule en hiver sur les toits. J’ai pu voir l’exemple le plus impressionnant de cette architecture nouvelle (quoique banale au Moyen-Orient) sur la route qui mène de Tuzla à Sarajevo : dans la nuit, entre deux lacets de cette route qui serpente entre les forêts et les montagnes de Bosnie, une mosquée de verre m’est apparue. Elle était entièrement éclairée au néon, et on y distinguait clairement les femmes à l’étage supérieur, et les hommes au rez-de-chaussée. Dans le minaret, également éclairé de blanc, on pouvait distinguer les escaliers en colimaçon qui grimpaient jusqu’aux haut-parleurs. Tout s’y donnait à voir, et les fidèles, illuminés, semblaient suspendus dans le noir de la nuit environnante…

Une semaine sans connexion Internet, et j’en ai presque oublié que mon pays n’en finit pas de traverser une période difficile. Arrivée à Londres, après avoir quitté Tuzla de nuit, dormi à Sarajevo, puis fait escale à Milan et à Paris, je voguais encore entre deux villes, mon corps ayant traversé l’Europe plus vite que mon esprit. Beyrouth me paraissait loin. Le Liban et l’Empire ottoman se confondaient dans mon esprit, perdus dans des paysages entre le XVIe et le XXe siècle.

Profitant d’une pause inespérée dans un week end intense, je me suis connectée au Net. Sur msn, nous avons bavardé avec le bout d’habit, discutant de la dernière publicité du Tube londonien, qui vantait les mérites d’une entreprise de fabrication de neige artificielle. Le slogan m’avait frappée, et s’était attiré les foudres des écologistes qui m’accompagnaient. Il clamait : "Not only have we re-invented snow… but we also made it profitable". Je n’ai toujours pas les mots qu’il faut pour exprimer clairement l’étonnement (et le vague malaise ?) que j’ai ressenti : du Mistral à l’iPod, le progrès industriel et technique de notre époque est proprement impressionnant ; mais d’aucuns me sidèrent par leur façon de considérer tout ce que ce monde comprend comme un bien matériel et échangeable, pouvant être produit en série et vendu de New York à Moscou en passant par Cape Town. Du bout d’habit, la photo d’un skieur sous les néons, dans un immense hangar à neige, finit par me faire rigoler.

Puis, au détour de la conversation, j’apprends que 3 roquettes ont explosé dans le centre-ville de Beyrouth : les deux premières en l’air, et la troisième au Bouddha bar, bâtiment jouxtant celui des Nations Unies. Mes considérations sur la mondialisation et l’écologie se sont soudainement volatilisées, et je me suis mise à traquer l’information sur les sites du Nahar, de la BBC ou de Google News. Partout, on n’annonçait que l’arrivée de la marine allemande à Beyrouth. Le seul article disponible débattait de la nature des engins, roquette ou RPG (Rocket Propelled Grenade). Le site du Tayyar ne présentait que la commémoration du 13 octobre (1990, lorsque le Général Aoun a dû fuir le Liban, avant l’irruption humiliante des barrages syriens dans une région qui n’en avait jamais vus). J’étais désespérée : impossible de s’éloigner de ce pays, impossible de s’octroyer une trêve, impossible d’oublier ma libanité, ni à Paris, ni à Tuzla, et encore moins à Londres.

Pourtant, l’événement semblait insignifiant, et du bout d’habit à Earl's Court, nous avons choisi de rester optimistes. Nous nous sommes ironiquement consolés d’avoir encore les mêmes dirigeants depuis 30 ans : eux, au moins, ne peuvent pas être tentés de se relancer dans un conflit meurtrier interne ; ils ont déjà goûté à la poudre, et en sont revenus. En 2005, la réapparition des sacs de sable, entassés devant le bâtiment de l’Escwa au centre-ville, m’avait fait un drôle d’effet, comme un terrible flash-back vers des souvenirs enfouis.

J’ai finalement passé trop peu de temps à Sarajevo pour pouvoir vraiment la décrire ici, mais c’est indéniablement une ville de mélanges. Les quelques lieux branchés que nous avons vus m’ont fait fortement penser à ceux de Beyrouth : il y régnait un mélange de bonne humeur et d’originalité qui n’existe ni à Paris, ni à Londres, mais peut-être un peu dans des villes plus jeunes, comme Barcelone. J’ai tout de même réussi à faire un saut à la librairie Šahinpašić, Soukbunar 12, où je me suis laissée imprégner par les livres bosniaques, impeccablement rangés sur des étagères de bois sombre, dans un espace lumineux et haut sous plafond. Je m’y suis sentie bien, et me suis assise sur un banc, laissant le vendeur me faire admirer un livre de croquis sur sa ville : en marron sur fond beige, j’ai revu, l’espace d’une minute, tous les bâtiments historiques que j’avais admirés la veille, en savourant un épi de maïs bouilli dans les rues de Sarajevo.
De retour dans ma ville-lumière, c'est ma connexion Internet retrouvée que je savoure à présent avec joie...

samedi 7 octobre 2006

Quelques photos des Balkans

Demain, je retourne passer une semaine en Bosnie. Cette fois, je passe par Sarajevo, avant de traverser les montagnes en direction de Tuzla, en Fédération de Bosnie et d'Herzégovine.

Pendant ce temps, à Beyrouth, le gouvernement a décidé d'empêcher la construction de bâtiments illégaux dans la banlieue Sud. Résultat : des émeutes, un mort, et une quinzaine de blessés. Ca ressemble à une dépêche AFP, mais ça dit surtout l'impuissance : la mienne, celle de mon gouvernement, et celles de beaucoup de libanais. Dira-t-on demain que c'est un étranger qui s'est mêlé à la foule et a tiré le premier ? Et cet étranger, dira-t-on qu'il est syrien, palestinien, islamiste, israélien, ou fou solitaire ? Sinon, accusera-t-on le Hezb, qui accusera le gouvernement, qui dénoncera l'alliance aounisto-hezbiotte, qui accusera la coalition du 14-mars, qui accusera la Syrie et l'Iran, qui ne diront rien ? Plus j'y pense, et moins j'arrive à comprendre pourquoi, fondamentalement, il ne semble pas possible aux dirigeants libanais de dépasser leurs divergences.
Et quand je réfléchis aux différents moyens de "lutte", je me dis que je préfère indiscutablement la résistance pacifique. Puis je pense au Tibet, qui consacre l'échec de cette même stratégie : un Dalaï Lama (ie, océan de sagesse), prix Nobel de la paix en 1989, internationalement reconnu mais en exil depuis des années, qui tente depuis 45 ans (45 ans !) de trouver un compromis avec Pékin, mais qui n'arrive pas à empêcher la mainmise grandissante de la Chine sur son pays. Il est parfois facile de perdre patience et d'avoir soif de violence...
La FINUL II n'arrête pas de s'internationaliser : lundi, le Luxembourg enverra DEUX soldats rejoindre le contingent belge. Je suis tout de même heureuse d'apprendre que l'un d'entre eux est expert en déminage. Handicap International parle de former des démineurs libanais : je ne peux m'empêcher de sourire en pensant que BASM signifie Bombes A Sous-Munitions en français, et (presque) sourire en arabe. La reprise d'une vie "normale" est encore loin. Même pour moi, de retour à Paris depuis bientôt 2 mois, une foultitude de petits signes du quotidien me rappellent que je me retrouve encore, et comme beaucoup, dans un temporaire qui s'éternise.
La pétition de Gemmayzé atteint presque les 2.000 signatures. J'espère, j'espère.
Et en attendant le prochain post de Tuzla, voici quelques photos de mon précédent séjour dans les Balkans.
Le penseur de Zagreb
Les "dish" du Kosovo
La bibliothèque de Prishtinë
Jo negociata...
Vieux Kosovar dans la rue de l'hôtel Begolli

lundi 2 octobre 2006

The end v/s To be continued

Dimanche 1er octobre 2006 : le retrait israélien se sera finalement achevé quelques heures avant le début de Yom Kippour.
Tout le retrait ?
Non ! Car un petit village reste (et restera encore) sous le contrôle de l'envahisseur, comme en témoigne le général Pelligrini (dont le nom ne manque pas de me faire sourire, dans le contexte houleux du commandement de la FINUL, que la France cèdera à l'Italie en février 2007).
Ledit village s'appelle Ghajar, 2.000 habitants, et son statut avait été débattu en janvier 2006 : la ligne bleue (qui délimite la frontière libano-israélienne en fonction des cartes héritées des mandats français et britanniques sur la région) le traverse au milieu, ou, plus spécifiquement, au tiers - ou encore aux deux tiers, en fonction du point de vue adopté. L'ensemble des habitants détiennent le passeport israélien, mais, le 12 juillet 2006, Tsahal en occupait les 2/3 et le Hezb le 1/3 restant. Aujourd'hui, des barbelés dans la prairie et un grand fossé le séparent du Liban.
Il y a quelques jours, au Sud-Liban, des chars Leclerc et Merkava se sont rencontrés. Il me semble avoir lu (ou entendu) que Tsahal avait procédé à la vérification de l'identité des casques bleus français. Je me demande encore si je dois m'en indigner ou en rire. En y repensant, la dernière option finit par l'emporter.
Et pour tous les amoureux de l'architecture libanaise, une pétition tente effectivement d'empêcher la destruction d'une partie de Gemmayze pour en faire une Dubaï miniature. En ligne depuis une dizaine de jours, elle ne dispose encore que de 1.300 signatures. Face aux millions qui sont en jeu, j'imagine que c'est bien peu. J'espère pourtant que les ONG (APSAD, ADG, etc.) et les architectes de renom (Président de l'Ordre des Architectes, Représentant du patrimoine libanais à l'Unesco, etc.) qui sont à l'origine de cette mobilisation arriveront à sauver le quartier. Il est dur d'admirer Paris et de penser qu'au même moment, quelque part à Beyrouth, un bulldozer démolit un immeuble chargé d'Histoire : parfois, Beyrouth me fait singulièrement penser à Pékin. J'ai signé la pétition parce que je ne veux pas avoir un centre-ville musée entouré d'une ville de verre. Je l'ai signée parce qu'au cours de l'été 2006, le musée était moribond et les centres commerciaux déserts, tandis que Gemmayzé et Hamra s'agitaient encore. Je l'ai signée en pensant à ce marchand de San Diego qui adorait son pays mais qui enviait ma jeunesse parisienne. Je revois encore ses yeux se perdre dans les vagues du Pacifique, tandis qu'il me confiait son rêve : passer sa proche retraite à flâner dans les rues de Paris et à admirer les pierres de ma ville...