mercredi 30 août 2006

From Бања Лука

Aujourd'hui, j'ai décidé d'aller voir ce qu'il reste de la mosquée Ferhadija. Entre information et désinformation, je n'aime finalement parler que de ce que je peux attester de mes propres yeux.
Munie de deux cartes et de mon Canon Rebel 2000, je me suis dirigée vers le lieu dit. Arrivée à proximité, je ne l'ai pas trouvé. J'ai poussé un peu plus loin, et fait le tour du bloc. Toujours rien.
Perplexe, j'ai retourné les deux cartes dans tous les sens, j'ai fait dix pas à gauche, deux à droite, cinq en avant et trois en arrière. Les rares noms de rue étaient en cyrillique, en dépit du fait que la Bosnie et la Croatie (mais pas la Republika Srpska) se latinisent à vitesse grand V. J'ai pensé demander mon chemin, puis me suis lâchement ravisée.
L'évidence s'est imposée à moi alors que je repassais devant de grandes plaques de métal rectangulaires, totalement hermétiques, qui masquaient un terrain vague.
Je me suis aventurée à jeter un coup d'oeil dans l'un des trop rares interstices. J'ai eu l'impression d'espionner du gazon par un trou de serrure. Je n'ai pas osé m'attarder, pour ne pas être prise en flagrant délit de voyeurisme. Puis, juste derrière le kiosque posté un peu plus loin, j'ai aperçu un petit bout de muret, et une vieille grille noire ne dépassant pas le mètre 50.
Je me suis approchée, mais je n'ai rien vu.
Rien.
Je me suis souvenue du centre-ville de Beyrouth que j'ai découvert en 1991. J'ai pensé aux romans de Sélim Nassib, juif libanais né en 1946 : les premières pages de Fou de Beyrouth décrivent le centre-ville, nouvellement accessible au public à la fin de la guerre (d'avant). Adolescente, n'ayant jamais connu le centre-ville d'avant, je n'avais pas été frappée par le fait que la nature y avait repris ses droits : il m'avait alors semblé tout à fait naturel de voir des immeubles entièrement criblés, des rues défoncées, et des débris de verre au milieu des arbres, de l'herbe et des fleurs.
A Banja Luka, le spectacle était en tout point identique. A l'endroit où s'est dressée la mosquée Ferhadija pendant plus de 4 siècles, il n'y avait que quelques pierres, de la boue et du vert, comme partout ailleurs en ville. Autant dire : rien.
Je m'en suis voulu de ma naïveté.
Pourtant, tous les jours, au détour de chaque rue, Beyrouth m'offre un parking, parfois encore doté d'un petit muret de pierre, d'un balcon en l'air ou d'un escalier suspendu, autant de détails qui rappellent la volonté farouche des propriétaires terriens de rester maîtres de leur argent : ils ont souvent préféré raser leurs Grandes Maisons familiales plutôt que de voir l'Etat les classer "monuments historiques". Tous les jours, je pense à cette vieille maison en face de chez moi, à ce bout de paradis en face duquel j'ai grandi, à la série de toits rouges de ma rue. Tous les jours, je pense au noeud dans mon estomac quand j'ai appris que le "palais" d'en face, ainsi que le vieil immeuble des années 50 (?) juste derrière, allaient bientôt être détruits pour céder la place à 3 tours de béton : et ce, pour la bagatelle de 15 millions de dollars. Tous les jours, à Paris, à Banja Luka ou ailleurs, je pense à ma rue : tous les jours, quelque part dans le monde, je maudis le propriétaire d'en face.
A Beyrouth, je préfère profiter de chaque instant que je peux encore passer sur mon balcon, à contempler le bougainvillier mauve du haut de mes 4 étages, à m'émerveiller de la finesse architecturale de mes ancêtres, et à rêver de la tranquillité de mon propre pays.
De retour à Paris, je posterai la photo de ce que j'admire depuis 30 ans. En attendant, voici l'image ma rue, vue par Google Earth. Le toit rouge dont je ne me résous pas à faire le deuil est au centre. Mais tous ceux que l'on voit sont menacés.
J'ai mal de poster cette photo. J'ai mal de penser que dans quelques temps (un an ?), Google confirmera qu'une partie de mon enfance a été rayée de la surface du globe.
Mon ministre de la culture, Tarek Mitri, aurait peut-être pu y faire quelque chose. Dernièrement, il était occupé à défendre mon pays à l'ONU. Voici donc une autre des conséquences de la guerre : un brin de poésie jeté à la trappe pour parer à bien plus urgent : sauver des vies. Moi, je ne comprends pas que les libanais veuillent se construire un avenir commun en effaçant le passé. Car j'ai au moins ces quelques petites choses en commun avec les partisans du Hezb : le hommos, les toits rouges et un attachement viscéral à mon pays.
Ce soir, j'ai dîné avec une bosniaque et un vietnamien. La bosniaque ignorait tout du Liban, jusqu'à la signification de "chickpeas" (pois chiches, ingrédient de base du hommos). J'ai constaté que nos 3 guerres ont été successives : en 1975, la guerre du Viêt-Nam s'achevait alors que le Liban s'embrasait ; en 1991, je découvrais Beyrouth et Solidere alors que le siège de Sarajevo se préparait ; en 2006, j'ai dû aller sur Wikipédia pour savoir qu'en 1993, la guerre éclatait au Burundi.
Demain, je pars pour Bihać, en Fédération de Bosnie-Herzégovine, deuxième région de la Bosnie-Herzégovine. Là-bas, j'aurais peut-être un peu plus de chances qu'ici de trouver ce qu'un ami m'a demandé : un livre sur l'architecture des mosquées de Sarajevo (Сарајево en cyrillique).
Aujourd'hui, Ahmedinejad a proposé à Bush un débat télévisé en live et sans censure : même CNN en a parlé. J'ai trouvé la démarche audacieuse. Dans Astérix, le combat des chefs évitait à deux populations entières de s'entre-tuer.
Dans l'attente de savoir si W prendra la proposition avec assez de sérieux pour la décliner, le blocus aérien et maritime sur Beyrouth continue.

mardi 29 août 2006

Keep smiling

Avec mon collègue, nous sommes logés à l'hôtel Firenza. Je trouve très amusant de descendre à Florence alors que nous sommes en pleine campagne serbe de Bosnie. Les parois de l'hôtel ne m'empêchent nullement d'entendre tout ce qui se passe dans les rues. Au mur, une horloge marque en permanence 9h59 et 5 secondes depuis deux jours. Comme dans une certaine nouvelle, je me demande si ce n'est pas un moyen politiquement correct d'indiquer La Mecque.Banja Luka a beau être une capitale, elle ressemble plutôt à un gros village : beaucoup de vert, de l'herbe jusqu'au bord des maisons, et beaucoup de toits rouges. Au bord de la rivière Vrbas, il y a un château du XVIe siècle, un des rares monuments de la ville. Il est situé en bas à gauche de cette photo de Google Earth. Mon hôtel est au centre de la boussole, en haut à droite. Nous avons dîné dans le restaurant du château : sur la porte, un autocollant signifiait l'interdiction des chiens et des revolvers dans la salle. A Beyrouth, du côté de Raouché, et sur un sticker identique, ce sont les kalachs qu'on demande de laisser dehors.
En me baladant, j'ai pris un char en photo, en me disant que je pourrai peut-être le faire passer pour un char israélien empêtré dans le bourbier libanais.
En lisant le Lonely Planet, j'ai appris qu'un tremblement de terre avait détruit 80% de la ville en 1969, et que ses 16 mosquées ont été rasées en 1993. Je ne verrai donc jamais la mosquée Ferhadija qui datait de 1580, pour être venue dans cette ville quelques 13 années trop tard. Comme d'habitude, j'ai été vérifier ce que Wikipedia avait à en dire. J'y ai trouvé cette image de la mosquée, avec la mention suivante : "Image from ferhadija.com with specific permission from the webmaster".
J'ai voulu coller la photo "après", en écho à un autre avant / après sur ce blog, mais les droits de d'utilisation de la deuxième image se sont avérés trop complexes. Il semblerait que la tentative de reconstruction de cette mosquée ait engendré des émeutes en 2001. Se pourrait-il qu'ici, on n'ait pas tiré les leçons du passé ? Lonely Planet confirme ce qui m'a étonnée sur Wikipedia : "Bosnia's Muslims had to declare themselves to be either Serbs or Croats until 1971, when 'Muslim' was declared to be a nationality unto itself".
Je suis contente d'avoir toutefois vu une (autre) mosquée en construction, presque achevée celle-là, au détour d'une rue : elle ressemblait à une vieille maison libanaise, avec un petit minaret rouge brique, dans les chaudes teintes du soleil couchant dans les Balkans. Par sa taille sans prétention, elle m'a fait penser à la mosquée de Deir-el-Qamar.
Sur CNN, j'ai vu les attentats d'Istanbul, revendiqués par le PKK. J'ai aussi vu Annan chez moi, avoir un entretien privé avec Siniora, puis avec Fneich. J'ai vu Bush faire son discours, une année après Katrina. Sur le web, j'ai lu que le Hezb et Israël sont en négociation pour la libération des deux soldats, et que SHN a assuré qu'il ne s'attendait pas à une guerre d'une telle ampleur. Je ne ressens rien. Je m'inquiète et vais vérifier d'autres blogs libanais. Partout, les posts s'espacent. On dirait que la vie reprend le dessus.
Par email, je reçois cette pub de Johnnie Walker. Je l'imagine très bien à Dora, juste après le deuxième pont, sur un immeuble à l'entrée de Jal-el-Dib. Je ris. Et je me dis que j'adore l'humour, à toute épreuve, de mes compatriotes.

dimanche 27 août 2006

Départ

Départ 8:50 pour la Bosnie. Météo : 5 à 18°C lundi ; 7 à 27°C mardi. Temps : pluvieux.
Hormis la déclaration de Chirac et l'envoi de 2.000 de mes compatriotes pour défendre (?) mes autres compatriotes, il ne semble pas se passer grand-chose. Hormis ces petits séismes quotidiens dont les scénarios diffèrent, mais qui changent rarement la réalité du terrain (ex : Assad Jr qui refuse le déploiement de la FINUL-II le long de la frontière libanaise, Moallem qui brandit la menace d'un blocus terrestre, Moubarak qui leur reproche leur attitude, etc., etc.).
A Beyrouth, les rues, les plages et le centre-ville sont (semble-t-il) toujours aussi déserts.
Le blocus s'éternise, mais les vols directs Beyrouth-Paris reprennent, à raison toutefois de 3 avions hebdomadaires plutôt que quotidiens. Coût : 800€ l'aller simple. Siniora a démenti que les avions ayant atterri à Amman aient fait l'objet de fouilles.
Je ne sais plus quoi écrire qui ne puisse se lire dans la presse arabophone, francophone ou anglophone.
Toute la semaine, j'ai subi l'effet d'un décalage horaire de plus de 1.000 heures (ie, 6 semaines). Même au terme de 2 semaines de vie parisienne (métro - boulot - vélo - resto), je ne suis toujours pas revenue de Beyrouth.
Au boulot, j'envoie des emails tout azimut, je lis et je prends des notes sans discontinuer : j'ai envie de refaire démarrer mon activité, mais mes mails restent parfois plusieurs jours sans réponse. Je trouve que tout va trop lentement. Lundi, à Banja Luka, j'aurai au contraire l'impression que tout va trop vite. J'aimerais arriver à ajuster mon rythme cervical à celui de mon environnement extérieur.
J'ai envie de lire, mais je n'arrête pas d'écrire (hors blog ces derniers jours).
J'espère avoir accès au Net à Banja Luka, capitale de la Republika Srpska de Bosnie-Herzégovine. Wikipedia précise que la traduction française de BiH (Bosna i Hercegovina) prête à confusion : "Le pays unit deux régions historiques et n'est pas réductible à une Bosnie à laquelle on accolerait un adjectif". Je recommande la lecture de la section Population. Je suis restée assez perplexe devant cette phrase : "A l'époque de la Yougoslavie, les Bosniaques étaient majoritairement appelés Musulmans, les trois nationalités composant le pays étant les Musulmans, les Croates et les Serbes".
Je suis curieuse de plonger dans une région dont l'histoire semble aussi complexe, pour moi, que celle de mon pays, pour d'autres.

mercredi 23 août 2006

Du Liban aux Balkans

Ce blog semble avoir ses adeptes. Ca me touche. Force m'est toutefois de constater que le compteur (cf. bas de page) m'indique une baisse de fréquentation constante et implacable (près de 30% à date). Mais je préfère l'intimité des petits groupes, même si je déplore qu'on oublie mon pays au moment où le plus dur reste encore à faire.
Dans quelques jours, je pars pour la Bosnie. Je ferai une escale à Zagreb, pour me rendre ensuite à Banja Luka en voiture (3h). Atterrir à Sarajevo impliquait 6h de route, en raison des routes montagneuses. Je pars ensuite au Kosovo, après une escale de 12h à Paris. Le premier trajet m'enthousiasme : je ris du fait que la géographie m'empêche de titrer "From Beirut to Sarajevo". Le deuxième trajet me semble absurde : je me rappelle ensuite qu'entre Beyrouth et Jérusalem, New York et la Havane, Nicosie Nord et Nicosie Sud, le chemin est tout aussi complexe.
Pendant longtemps, la Croatie, la Bosnie, la Serbie, le Montenegro, le Kosovo, la Macédoine et la Syldavie se brouillaient dans mon esprit et se confondaient sur ma carte Michelin de 1991. Pays : Yougoslavie. Capitale : Belgrade. Puis, nous avons remplacé le Larousse de 1982 par celui, tout en couleurs, de 1995. J'y ai découvert un mot nouveau : Libanisation. Je cite : "Processus de fragmentation d'un Etat, résultant de l'affrontement entre différentes communautés. Synonyme : Balkanisation". Depuis ce jour, les Balkans représentent pour moi une force d'attraction et de répulsion simultanée.
Fort heureusement, le Petit Robert de 1993, acquis en 2003, distinguait les deux termes. Libanisation (1985) : Phénomène par lequel un pays connaît une transformation qui le fait ressembler au Liban, où les différentes ethnies, religions, etc. s'affrontent violemment, causant une véritable guerre civile. L'Histoire, mon enfance et toute la guerre (d'avant) se résument en quelques mots, culminant en trois lettres et un point : "etc.". Je préfère décidément le Robert au Larousse. En France, des amis m'ont fait découvrir les films d'Emir Kusturica, et j'ai acheté le DVD du très poignant No man's land.
En 1999, à Montréal, j'ai rencontré une jeune yougoslave à la recherche de son identité. En voyage au moment de la guerre qui allait faire (et fait encore) éclater son pays en morceaux, elle se retrouvait sans le vouloir au centre d'un véritable imbroglio juridique : le passeport dont elle s'était servie pour arriver au Canada n'avait plus aucun sens. Elle n'avait pas pu retourner dans un chez elle en voie de non-existence. Depuis, partout ailleurs, elle se retrouvait de facto apatride et dans l'illégalité. Ce n'est qu'aujourd'hui que je réalise pleinement toute l'ampleur du drame.
En 2006, bloggeuse comme tant d'autres, j'ai pioché "Fax from Sarajevo" dans ma bédéthèque. Ervin Rustemagić, éditeur indépendant, y raconte le basculement de sa vie en mars 1992, alors qu'il était récemment revenu s'installer à Sarajevo. A l'époque d'avant Internet, pris au piège au sein d'une folie meurtrière, cet homme témoignait en envoyant des fax réguliers à ses amis de l'étranger. Il y a peu, France 2 rapportait la commémoration de milliers de morts musulmans, massacrés par leurs voisins chrétiens. Certains voyaient en Milosevic un héros, d'autres un criminel de guerre. Au cours de 224 pages, moi, je n'ai vu qu'une étrange similitude avec ce que mon pays a vécu ce dernier mois. Là-bas, on ne lançait pourtant pas de tracts avant de démolir les habitations. Mais dans le fond, je me demande en quoi le fait qu'il existe un cran supérieur de barbarie rend l'horreur de l'échelon inférieur plus supportable. Je ne peux que répéter : croire que l'on peut séparer la guerre de l'abomination relève soit de l'illusion, soit du mensonge.
Et là encore, je ne veux ni remonter le temps, ni décortiquer les responsabilités pour imputer la faute à X ou à Y. A mes yeux, il n'y a pas une guerre plus acceptable qu'une autre. Peut-être (et à peine) des bilans un peu moins lourds de conséquences. Mais dans tous les cas, on en traîne les séquelles pendant plusieurs générations. Dans les films, un couple de jeunes amoureux finit toujours par dépasser les différences pour sceller la réconciliation.
Sur le site du Nahar, j'apprends que le faux Hassan Nasrallah a été relâché. Naharnet titre :
"Israel releases Hassan Nasrallah after realizing it got the grocer".
Je ris. Et je pense à l'histoire que cet homme racontera à ses petits-enfants... Pas besoin d'emphase : j'imagine le décor, les gestes, la voix ; je l'imagine en train de narrer ; il détecte des rires incrédules, et je le vois aller chercher une copie jaunie du Nahar pour prouver la véracité de ses dires ; son public n'en croit pas ses yeux et scrute tantôt la photo, tantôt ses rides ; le groupe se dispersera en pensant que c'est tout de même incroyable. Je suis aussi nostalgique d'un passé tranquille que je n'ai pas connu, que d'un futur paisible que j'ai peur de ne pas connaître.
Lufthansa annonce la reprise de ses vols sur Beyrouth. Serait-ce possible ? Le blocus persiste pourtant : même à distance, il m'étouffe encore. Au départ de Beyrouth, via Damas (en voiture) ou Amman (en avion), tous les vols affichent complet. Autour de la FINUL II et du chapitre 6 1/2, les polémiques se poursuivent. Israël a déjà violé la 1701, tandis que Bush appelle l'Iran à prendre les résolutions de l'ONU au sérieux. En échange de l'abandon de leurs ambitions nucléaires, il promet d'autoriser les iraniens à acheter du matériel aérien et agricole made in USA. Dans tout ça, je me demande ce qui est vraiment sérieux, et je me résous, une fois de plus, à attendre : le 31 août, l'Iran rendra sa réponse.
En surfant sur le site du Nouvel Obs, cette image m'a frappée. De quel avenir rêve donc mon jeune concitoyen au regard si dur?

lundi 21 août 2006

Un peu du rire et de l'oubli

Depuis 48h, je n'ai pas tapé une ligne. Je n'ai pas regardé les infos. Je n'ai pas lu le journal. Je n'ai pas répondu à mes emails. J'ai vaguement retourné quelques appels.
Depuis 48h, j'essaye de me détendre un peu, de m'oublier, et de ramener ma tête là où se trouvent mes pieds, c'est-à-dire loin de Beyrouth.
Depuis 48h, je broie du noir du matin au soir. Mes siestes et mes nuits sont peuplées de scènes absurdes. J'ai honte de l'avouer. Je me débats avec ma conscience autant qu'avec mon inconscient. Je dors fatiguée et me réveille épuisée. J'ai beau taper du pied, je n'ai pas l'impression de remonter à la surface.
Ce soir, je suis rassurée de voir que Mazen (Kerblog) semble être dans le même état que moi.
Je voudrais arrêter d'écrire, reprendre ma vie d'avant tout ça, et, comme avant, ne confier mes mots qu'à mon ordinateur. Au resto, au boulot ou à vélo, quand des phrases toutes faites me viennent à l'esprit, je m'efforce de les en chasser. Mais elles me reviennent encore et encore, jusqu'à ce que, de guerre lasse, je me décide à les griffonner quelque part.
Ce soir, je me rends donc à l'évidence : plus j'occulte ce dernier mois, et plus j'y pense ; plus j'y pense, et plus j'ai envie d'écrire ; plus je m'en empêche, et plus je rêve.
Il y a dix jours, je vivais encore normalement. J'assistais, tranquille, aux événements de ma propre vie. Impassible témoin du conflit qui ensanglantait mon pays, j'étais parfaitement à l'aise dans mon rôle de scribe. J'essayais d'embrasser les différents points de vue pour mieux les dépasser. Pendant tout ce temps, c'était quelqu'un d'autre qui se déchirait. Moi, j'écrivais.
Aujourd'hui, j'ai l'impression que ma sensibilité est, au contraire, exacerbée à l'extrême. Je n'en peux plus de ces gens qui me demandent comment ça va, ni de leur répondre que ça allait, et que ça ira. Je n'aime pas être considérée comme une rescapée. Je n'aime pas culpabiliser d'être indemne. Je n'aime ni susciter une pitié mal placée, ni la traquer à tort dans le regard de mes interlocuteurs. Je n'aime pas en arriver à écrire que "je suis presque nostalgique de ce dernier mois, passé à attendre la nuit pour écrire, l'aube pour me coucher, et le matin pour lire mes mails et les commentaires sur mon blog". Je n'aime pas regretter l'horreur pour me sentir plus proche de mes concitoyens. Je n'aime pas ce monstre que j'essaye de dompter en moi.
Et je n'aime pas que mes copains non libanais ne comprennent pas les blagues made in Lebanon : je n'aime pas ce nouveau fossé qu'on a creusé entre nous. Ca me rend terriblement triste d'élever mon rire pour dédramatiser, et de l'entendre retomber dans le silence ou la désapprobation. Je n'aime pas me justifier. Je n'aime pas parler de moi. Je préfère m'intéresser aux autres et parler avec eux.
Moi, je fais juste ce que je peux. Je ne suis pas sociologue, je ne suis pas politologue, je ne suis pas anthropologue. Je ne cherche pas à faire de la pro-pagande, ni de la contre-pagande. Je n'ai pas de prétentions particulières. Coincée quelque part entre la poule et l'oeuf, j'essaye simplement de prendre du recul et de dénoncer l'absurdité, là où je la vois. Je fais ce que j'ai vu faire pendant la guerre (d'avant) : quand les lendemains m'angoissent, quand je m'inquiète pour mes amis, quand je n'arrive plus à maîtriser mon humanité, j'essaye encore de rire. Peut-être pour oublier de pleurer. Peut-être pour oublier d'avoir mal. Plus jeune, et comme mon ami Camille (Stroobia), j'avais aimé ce livre :
Pour moi, le rire permet d'établir une certaine distance, qui permet à son tour de réfléchir froidement. Il me permet d'oublier de réagir avec mes instincts primitifs. D'oublier que mon agenda s'est arrêté le 2 juillet. D'oublier que la popularité de ce blog est en chute libre depuis que je suis à Paris, et encore plus depuis l'arrêt des hostilités. D'oublier que le nombre de visiteurs a atteint son pic au lendemain de Cana. D'oublier que je ne comprends pas en quoi tuer 24 personnes d'un coup ou en tuer une par heure est différent : au total, ça fera toujours 24 morts dans la journée ; 24 fois intolérablement mal. D'oublier que Cana a eu lieu tous les jours pendant 5 semaines et que, comme le disait ce soldat israélien : les premiers jours, ce sont encore des noms ; ensuite, il ne restera plus que des chiffres. D'oublier cet homme qui se convulsionne de douleur en pensant avoir retrouvé les cadavres de ses parents. D'oublier de me demander "pourquoi ?". D'oublier mon désarroi. D'oublier que, dans le fond, je ne sais pas ce qu'il faut faire. D'oublier que j'ai trop de questions et trop peu de réponses.
Et la troisième voie, que je cherche plus que jamais, se définit par une double négation (et les libanais savent combien ça ne fait pas une nation - cf. Georges Naccache). Cette troisième voie, ce n'est ni celle du gouvernement israélien, ni celle du Hezb. C'est celle de ces millions de voix qui ignorent comment se faire entendre, qui condamnent la violence, et qui ne souhaitent qu'une seule chose : qu'on les laisse vivre en paix.
Ou plutôt : qu'on les laisse vivre, tout court.
Moi, je suis comme tout le monde : je veux simplement garder l'espoir.

vendredi 18 août 2006

De tout et de rien

Hussein el Hajj Hassan, député du Hezb, m'a agacée jusqu'au jour où j'ai réalisé qu'il pourrait incarner à la perfection sa propre caricature aux Guignols de l'info. D'habitude, il n'a pas de moustache et, du coup, ses lèvres paraissent encore plus saillantes que sur cette photo de la LBC.
Cet homme, député du Hezb (je me répète), avait excité les jeunes partisans devant l'Escwa il y quelques semaines. Hier, il a quand même dit, en réponse à Bachar, qu'il ne pouvait pas considérer les forces du 14 mars (2005) comme des "collabos" (3amil) israéliens ou américains. Il semblerait qu'il se soit rétracté par la suite, mais l'essentiel est là : le régime syrien ne semble même plus trouver écho chez ses proches alliés au Liban.
Pour arriver à temps pour les infos de Beyrouth (20h heure locale, 19h heure de Paris), je dois quitter le bureau particulièrement tôt, pester en attendant le bus et m'obliger à ne pas regarder l'heure entre deux stations de métro. La semaine prochaine, je reprendrai définitivement mon rythme parisien : après le carnet de notes, exit la LBC et la Future en direct live. Exit également le trajet en bus+métro : mon vieux vélo, garé dans ma rue depuis 6 semaines, m'attend avec impatience.
Aujourd'hui, les débats tournaient autour de la FINUL II - Le retour : la Lituanie veut participer au jeu, mais tout le monde attend que la France se décide à en rédiger les règles ; la France attend sans doute que le Hezb fixe les siennes ; lequel attend que l'Iran finisse de ré-entamer les négociations autour du nucléaire ; qui attend que les US lui proposent un assez bon deal ; etc, etc, etc. En bref, on attend.
Khamenei a proclamé la victoire de l'Islam, comme si l'Iran n'avait pas mené la guerre contre les musulmans d'Irak. Aujourd'hui, on va un cran plus loin, et on dit chiites contre sunnites, mais ce sont bien, depuis toujours, les mêmes luttes de pouvoir que l'on observe.
Joumblat a répondu à Bachar, dans son style habituel, cru et un peu sarcastique. Cet homme, aux cheveux plus gris que jamais, leader de la communauté druze, au profit de laquelle il a accaparé le Parti Socialiste libanais, a aussi demandé des comptes au Sayyed, arguant à juste titre que les maisons se reconstruisent plus facilement que la confiance. Comme moi hier, mais de façon explicite, il a eu une pensée pour Michel Kilo, intellectuel syrien arrêté le 14 mai 2006 pour avoir signé un communiqué invitant à une réforme des relations entre le Liban et la Syrie.
Même Hariri Jr connaissait un regain de tonus proprement étonnant. Il a remercié le peuple syrien "frère", mais il a critiqué de façon particulièrement virulente Bachar et son commerce des morts libanais.
Sur Al Jazeera, une femme à la voix stridente, les yeux presque fermés, essayait de me convaincre que la fatwa à l'encontre du Hezb était une fatwa israélienne. J'ignorais l'existence d'une telle fatwa, mais j'ai failli m'étrangler de rire.
Pendant ce temps, les chars de l'armée libanaise sont entrés à Tyr, de façon peu commune, par voie maritime. Les combattants du Hezb étaient invisibles, à nouveau fondus dans le décor. Les habitants étaient aussi invisibles, trop occupés à enterrer leurs morts. De ces images, je n'ai retenu que le retour des barrages. Des barrages, j'en ai connu de toutes les formes et de toutes les couleurs : quasi-invisibles ou totalement tape-à-l'oeil, avec des hommes en kaki ou en treillis ramagé, des militaires ou des civils (généralement les services de renseignements). Adolescents et tout jeunes conducteurs à la fin de la guerre (d'avant), nous étions respectueux devant les soldats libanais que nous appelions "watan" (ie, pays). Nous réservions par contre un silence méprisant aux soldats syriens, et leur lancions des regards plein de défis que nous n'aurions jamais pu relever. Pour venger notre impuissance, a posteriori, nous reprenions les pires blagues à leur sujet, tentant d'oublier qu'ils auraient pu, pour ce même regard, nous laisser mijoter en voiture pendant deux heures, vitres fermées et moteur éteint en plein soleil de midi (et qu'on ne me parle pas de canicule). Quelques années plus tard, nous avions quelques fois pitié des jeunes soldats syriens de notre âge, postés si loin de chez eux, et qui n'avaient d'autre choix que d'exécuter les ordres du régime de fer d'Assad père. Nous mûrissions déjà.
L'aéroport international de Beyrouth (récemment rebaptisé aéroport Rafic Hariri) a repris ses activités aujourd'hui. Un couloir vers Amman est désormais ouvert : de là, la MEA (ie, la compagnie nationale) desservira tous les pays du Golfe et l'Egypte. Les vols vers l'Europe continueront d'être opérés à partir de Damas. En attendant la levée du blocus... Siniora a-t-il réussi à convaincre Condie de l'absurdité de ce blocus ? Pareillement, je me demande pourquoi, une fois que le gouvernement Olmert avait voté l'application de la 1701, les raids ont continué jusqu'à la dernière minute "légale" : à quoi auront donc servi les 14 dernières heures de bombardements intensifs ?
Par mail, je reçois des appels pour traîner en justice tantôt Israël, et tantôt le Hezb. Moi, j'aimerais que l'on puisse poursuivre, entre autres (toujours cet "entre autres"), l'auteur du bombardement des réservoirs de fuel de Jiyé : en quoi donc est-ce que la pollution de la Méditerranée est une garantie de sécurité pour Israël ? Cette marée noire qui s'étale sur 140 Kms est pire que celle de l'Erika. Il nous faudra peut-être 5 ans avant de pouvoir nous baigner proprement sur les plages du Liban.
Mais aujourd'hui, j'ai reçu la plus belle nouvelle qui soit de Beyrouth : mes amis ont été nager, dans une piscine, en plein air. Moi, j'ai presque entendu les cris des enfants, et j'ai senti l'odeur du chlore et du gazon mouillé jusqu'à Paris. Il ne m'en faut pas plus, ce soir, pour me coucher de bonne humeur.

jeudi 17 août 2006

Vol au-dessus d'un nid de vipères

Voilà deux jours que je suis un peu bluesique. Bluesique est un mot que nous avons inventé avec un ami, jeunes étudiants fraîchement débarqués à Paris, et totalement déboussolés : ce mot nous renvoyait chez nous, sans pour autant nous faire sombrer dans une nostalgie pathétique. C'est un sentiment doux et triste à la fois : dans bluesique, il y a un peu de jazz, un bout de musique, et beaucoup de mon pays.
Aujourd'hui, à 20:35 (heure de Beyrouth), j'ai entendu Siniora parler.
Ce type m'a encore épatée : il a réussi à être au-dessus des débats actuels (il a dit, ils ont dit, je réponds). Au-dessus des petites piques des uns et des autres. Au-dessus de l'amalgame et de l'inutile complexité. Son discours était clair et simple, sans jamais basculer du vrai au faux (et vice versa). Il a appelé la Syrie à accepter de tracer les frontières, et à remettre les cartes géographiques probantes à l'ONU. Il a promis d'oeuvrer pour la libération des prisonniers. Puis il a parlé de sa conception de l'Etat : un Etat qui protège sans menacer ; un Etat fort, doté d'une armée puissante et d'institutions démocratiques ; un Etat qui se chargera d'une reconstruction sans discrimination (sans discrimination !) ; un Etat qui s'engage à être transparent dans la gestion des fonds qui lui sont alloués ; un Etat synonyme de droits ET de responsabilités ; un Etat face à un moment décisif de son histoire, qui doit avoir le monopole des armes. Il a conclu par cette phrase : "Je ne parle pas au nom d'un parti ou d'une confession. Je m'adresse à vous en tant que Premier Ministre du Liban".
J'étais rassérénée : la troisième voie est peut-être bien celle qui passe par un Etat sans corruption, qui ne fait aucune distinction entre ses citoyens. J'espère que tous ont écouté Siniora, et que beaucoup l'entendront. J'espère qu'il réussira dans ce projet qui représente tout ce que je souhaite pour mon pays. Je lui pardonne même d'avoir cédé à la facilité de clore par cette phrase, tellement patriotique qu'elle en a été galvaudée :
عشتم و عاش لبنان
(Le Liban vivra tant que vous vivrez)
J'espère, et j'attends parce que la situation est encore précaire. Demain, l'armée commencera à se déployer au sud du Litani.
En ce 3e jour de cessez-le-feu, le Liban est relégué à la 3e place du JT de France2. Sur les autres chaînes, ni les libanais, ni leur classe politique, n'ont l'air de céder aux titillements appelant à la division interne.
Ce soir, je veux bien qu'on oublie un peu mon pays, et qu'on nous laisse panser nos plaies entre nous, à l'abri des regards extérieurs. Ce soir, j'ai envie de faire confiance aux talents de négociateur de Siniora.
Du coup, je retrouve mon calme, mon recul et mon sourire.
Ce soir, j'espère à nouveau.

mercredi 16 août 2006

Envies d'ailleurs

Ce soir, je ne sais pas quoi dire.
Voilà 48 heures que j'erre dans les rues de mon quartier latin, sans envies et comme absente de ma propre vie, les pieds ici, mais la tête ailleurs.
Exit le carnet de notes à portée de main, et le crayon qui gratte de 20h à 22h (heure de Beyrouth) : les images d'aujourd'hui ressemblaient à celles d'hier, et probablement à celles de demain. Au Liban, comme en Israël, mais pas dans les mêmes conditions, les déplacés rentrent chez eux. Le Sayyed, comme d'habitude, tient promesse : tracteurs et volontaires sont déjà à l'oeuvre. Partout, de nouveaux cadavres, des bombes qui n'ont pas explosé, des livres et des chaussures abandonnés. Et du gris, à perte de vue. Hormis sur ces sentiers de terre rouge par lesquels les soldats de Tsahal sont heureux de se retirer.
Le discours de Bachar el Assad de ce matin a achevé de me dégoûter : mise en scène jusqu'au bout, récupérations et amalgames étaient au rendez-vous. J'ai noirci deux pages entières, mais, je ne pense à présent qu'aux syriens qui ont eu le courage de s'opposer, ces derniers mois, au régime de leur pays : que vont-ils devenir aujourd'hui que ce dernier opère un retour en force ?
A l'automne 2005, tous les espoirs me semblaient encore permis.
A l'automne 2006, je me demande si le pire n'est pas encore à venir.
Puis je me réponds que non. Que rien n'a changé. Que nous ne voulons pas de guerre civile, et que non, nous ne la ferons pas. Qu'à ceux qui me demandent de refuser l'Etat dans l'Etat, je réponds que je le refuse. Mais encore ? Qu'y puis-je réellement ? Aurais-je pu proposer, dès hier, une aide réelle aux réfugiés libanais ? Pourrais-je convaincre ceux qui se font aider par le Sayyed de ne pas voter pour le Hezb aux prochaines élections ? Pourrais-je, demain, me promener librement dans le "périmètre de sécurité" qui n'existe plus ? Et si non, souhaiterais-je pour autant que les soldats de l'armée libanaise entrent en conflit direct avec une guérilla où ils peuvent avoir un frère, un cousin ou un voisin ?
Ce soir, il n'y a pas de réponse facile, ni de solution satisfaisante : les problèmes me paraissent si complexes que seuls le temps, le dialogue et des hommes de courage semblent pouvoir y remédier.
De tout ce que Assad Jr. a dit, je n'ai trouvé que ces mots de vrai : "C'est maintenant que la vraie bataille commence". Oui, c'est maintenant qu'il va falloir s'acharner, à tous les instants, à vouloir la liberté de la presse, le maintien de l'accessibilité des dot.il, le retour de Rabbi Jacob dans les rayons du Virgin, l'ADSL à la maison, la baisse des tarifs des téléphones portables, la préservation des vieilles maisons de Beyrouth, l'accessibilité gratuite du bord de mer, l'éducation, les soins et la justice pour tous. A vouloir, en bref, que la vie reprenne le dessus. Et à militer pour la tolérance et le bon sens.
Ce soir, j'ai encore envie de dormir dans mon (autre) lit.

mardi 15 août 2006

La troisième voie dans le mur

La journée s'est terminée dans le calme. Mais avant d'écrire ces mots, j'ai pris la précaution de vérifier que tout allait encore bien.
Ma joie du matin a cédé la place à la rage. Ce soir, le bilan de la situation est le suivant :
- Israël affirme avoir détruit l'essentiel de l'arsenal militaire du Hezb, et crie victoire : hier pourtant, le Hezb tirait plus d'une centaine de roquettes sur le nord d'Israël et Livni trouvait impossible de le désarmer par la force ;
- Le Hezb est plus triomphant que jamais : avec 5.000 hommes, il en a tenu 30.000 en échec, et a résisté à l'armée qui a défait les alliés arabes en 67 (il y a près de 40 ans).
Le blocus n'est pas encore levé. Les routes abîmées et les 80 ponts démolis sont estimés à 2 Mds $. 15.000 habitations ont été totalement détruites. Il faudra compter deux années de (re)construction pour effacer les traces de ce mois de destruction. 50.000 libanais et 85.000 occidentaux ont quitté le pays, certains pour toujours. Tsahal s'est retiré de Marjayoun, et la FINUL se charge du transfert des éléments isolés des deux camps. Les camions sont de retour sur les routes, et plus particulièrement celles du Sud : demain, un convoi humanitaire se dirigera vers Ain Ebel. Sultan Sleiman, reporter de la LBC dont j'ai, tous les jours, attendu les commentaires et salué le courage, a poussé jusqu'à Bent Jbeil par la route de Tebnine. Il en a rapporté cette phrase, terrible :
دمار و خراب و قتل للحجر و البشر و الشجر
(destruction, démolition et mort, pour les pierres, les arbres et les hommes)
20:20 : régulier comme une horloge suisse, SHN a encore interrompu les infos sans prévenir. Il a commencé par saluer la victoire stratégique et historique du Liban, de la résistance et de la oumma. Il a ensuite promis, dès demain (dès demain !), une aide aux réfugiés : à ceux dont les maisons sont encore habitables, les "chabeb" (jeunes hommes) prêteront main forte ; à ceux dont les maisons n'existent plus, le Hezb prendra à sa charge une année de loyer et tous les frais de ré-ameublement, sans attendre le gouvernement, décrété trop lent à agir. Qui pourra, dès demain, proposer mieux ? Le sayyed a finalement reproché à certaines factions leur langue de bois au sujet des armes de la résistance, et a ramené, encore et toujours, l'histoire de Chebaa, des prisonniers et de la sécurité du Liban (qui ne saurait être, à date, assurée par l'armée et la FINUL). Il se dit prêt à dialoguer, arguant toutefois d'une autre histoire d'oeuf et de poule : non, il ne faut pas que le Hezb rende ses armes pour qu'un Etat fort, équitable et rassurant puisse se constituer ; il faudrait au contraire que cet Etat fort se construise pour que le Hezb rende ses armes. En bref, c'est le retour à la case départ.
Pour une fois, le JT de France 2 a admirablement bien résumé la situation. Loïc de la Mornais expliquait :
"Le vrai bilan, c'est un million de réfugiés, le Hezbollah renforcé, et de la haine pour les générations à venir".
A quoi donc aura servi ce dernier mois, à part à museler les voix de la raison et à malmener les tempérés des deux bords ? A ces centaines de milliers de personnes qui ont vécu un mois d'enfer, comment pourrais-je, moi, expliquer qu'il faut s'efforcer de vouloir la paix et que tous les israéliens ne sont pas des diables ? Quels arguments pourrais-je déployer face à ceux qui ont perdu un enfant, un père, un ami, un bras ou une maison ? Parmi les réfugiés qui s'empressaient de rentrer chez eux aujourd'hui, il y en a un qui a attiré mon attention. Il disait : "Maintenant, on a appris à nos enfants pourquoi Israël ne doit pas exister". J'ai eu envie de pleurer.
En Israël, l'heure du rendement des comptes a sonné : Olmert, Peretz et Livni doivent s'expliquer devant l'opposition. J'en suis ravie. Mais qui, chez nous, pourra critiquer le Hezb sans que l'on ne brandisse le spectre de la guerre civile ? Exactement comme à Paris, où il est quasiment impossible de ne pas être partisan d'Israël sans être taxé d'antisémite (même lorsqu'on est sémite), il sera difficile à Beyrouth d'en vouloir au Hezb sans être traité de traître sioniste fauteur de troubles civils. J'ai beau chercher la troisième voie, il est des jours où je n'en distingue pas même l'ébauche.
Hier encore, je caressais l'espoir que le gouvernement Olmert et le Hezb soient les grands perdants de cette guerre, et nous, les vainqueurs. Aujourd'hui, c'est exactement l'inverse qui s'est produit. A moi, à la majorité silencieuse et à ceux qui refusent la violence autant qu'ils refusent l'idéologie du Hezb, il nous reste nos yeux pour pleurer, et nos manches à retrousser pour les décades à venir.

A moins que la partie ne soit pas encore finie... Attendons voir.

lundi 14 août 2006

De Beyrouth, les commentaires sont moins enthousiastes : tout le monde me recommande de tempérer ma joie.
La nuit a été particulièrement dure et, depuis 8h du matin, on reporte des bombes à retardement qui explosent par ci par là. L'armée libanaise s'est mise à la recherche des bombes à fragmentation qui n'ont que partiellement explosé, particulièrement sur les routes de Masnaa, de Arida et de Abboudiyé (qui mènent en Syrie).
Israël maintient son blocus aérien, martime et terrestre, et ses avions volent bas depuis ce matin.
Partout, on construit des ponts de fortune (avec des planches de bois et un peu de sable) que les voitures traversent au compte-goutte.
Flash info : Israël tue deux combattants du Hezb dans la première opération militaire après l'arrêt des hostilités.
Je modère l'enthousiasme mon post précédent, et je recommence à attendre : après l'attente, encore l'attente...
Mais je continue à vouloir faire confiance à Siniora, qui prépare une réunion de négociation sur la levée du blocus. Ce Siniora, quel homme !

14 août 2006 : Yeeeeeeeeees

8h du matin, et plus un coup de feu au Liban !
Aux infos, le sol fume encore mais, déjà, déjà, les embouteillages sur les routes défoncées, les gens qui se précipitent pour rentrer chez eux, les tracteurs en marche et le retour en force de Sukleen !
Soudain, tout est permis, l'espoir est fou et l'avenir envisageable à nouveau !
J'espère, j'espère, j'espère que le Nahar s'est trompé de titre :
الســــاعة 8:00 نهـــايـــة الـــحــــرب أم بـــداية هـــدنـــة ؟
(8:00, la fin de de la guerre, ou le début de la trève ?)
Il reste un dilemme à trois têtes : le timing du retrait d'Israël (?), l'arrivée des forces de la FINUL (fin de semaine semble-t-il), le déploiement de l'armée libanaise, et la restitution des armes du Hezb (?).
Mais ce matin, je veux espérer.
Et je souris.
Joie.
Ahmedinejad se met à l'heure du jour : Stroobia m'attire l'attention sur son nouveau blog (bientôt en français). J'en ris, nous en rions : vous en riez ?
Et comme on le dit dans cette Grande Maison où je n'ai pas dîné depuis 4 soirs : nous rirons à Tyr !
Joie, joie, joie.
Je m'en vais vaquer.

D'espoir en désespoir

Ce soir encore, un avion a survolé Paris. J'ai pesté contre les lois qui changent : je pensais qu'il était rigoureusement interdit aux avions de ligne de survoler la ville lumière et, depuis le temps que j'y habite, je n'ai jamais entendu que les avions du 14 juillet rugir dans son ciel.
On s'approche de l'heure H : à 8h am, heure de Beyrouth, les hostilités devront avoir cessé. Israël a accepté la 1701, mais Tsahal tente d'atteindre le Litani, et le Hezb lui résiste. A Beyrouth, il faisait encore jour après la tombée de la nuit : les raids israéliens se sont intensifiés, pour atteindre par moments des bombardements de l'ordre de 10 obus par minute. Exactement comme la semaine dernière, j'ai fixé les secondes de ma montre, et j'ai compté jusqu'à 5 entre deux déflagrations : mon cerveau a refusé de se plier à ce petit jeu. Que restera-t-il de mon pays dans quelques heures ? Probablement encore des hommes, déplaçant de leurs mains nues des montagnes de parpaings et de pierres en ruine, dans une tentative désespérée de retrouver des survivants sous les décombres.
La réunion du gouvernement libanais portant sur le désarmement du Hezb a dû être repoussée de quelques jours, encore et toujours en raison de l'invocation de Chebaa et du droit à la résistance tant que ces quelques kilomètres carrés ne sont pas libérés. En bref, encore un mois avant un cessez-le-feu définitif. Je m'en veux d'avoir cru à l'arrêt des combats et d'avoir déjà rêvé d'un après. J'espère que le matin me donnera tort.
Au 33e jour des combats, le Sud n'est plus qu'un gigantesque feu d'artifice fumant. La Bekaa n'est pas mieux lotie. Une usine de papier et de carton, et une autre de peinture, ont été détruites. Une des usines de Ghandour, notre LU national, a été touchée. L'hôpital de Tebnine et ses 370 patients ont été bombardés pour la deuxième fois. Et moi qui, il y a quelques temps, reprochais l'imprécision des roquettes du Hezb qui avaient atteint un hôpital à Haïfa, je ne peux que répéter : quelle drôle d'idée.
J'ai appris avec douleur que les raids israéliens à Baalbeck ont endommagé la structure du temple de Bacchus (source : Daily Star). Je ne sais plus quoi dire pour dénoncer les soldats de Tsahal qui ne respectent même pas l'Histoire, ni pour dénoncer les combattants du Hezb qui se fondent dans la population civile, lui faisant prendre par là des risques inconsidérés. Comme le dit Yasmina dans son blog :
"Si je n'ai pas une âme de martyr, pourquoi veut-on me l'inculquer de force ?"
Elle ajoutera, quelques jours plus tard, et avec beaucoup de justesse :
"J’ai encore de l’eau pour laver mes cheveux, mes dents, mes vêtements et ma maison. J’ai encore de l’électricité pour mon téléphone, mon ordi, mon sèche cheveux. J’ai encore de l’essence pour ma voiture. J’ai encore de l’argent liquide pour le cas où. J’ai encore une famille, une maison, un bureau. De quoi je me plains alors ? De trouver qu’avoir ça c’est déjà du luxe".
J'ai constaté aujourd'hui que mon vocabulaire technique s'était considérablement amélioré ces dernières semaines : en privé, je ne dis plus "drone" mais "MK" ; j'ai remplacé "char" par "Merkava" ; et je fais la distinction entre un katioucha, une bombe à phosphore et un bunker buster à tête nucléaire. Ce soir, je me demande en quoi cela fait de moi une meilleure personne.
Il semblerait que la rue israélienne commence à se mobiliser sérieusement contre cette guerre, depuis que Tsahal ne cache plus ses pertes et déplore la mort de plus d'une centaine de soldats. Voilà un mois que j'attends et redoute ce moment à la fois : je l'attends parce que la pression interne peut faire plier le gouvernement Olmert ; je la redoute parce que je ne peux pas croire qu'aux yeux de la majorité des israéliens, seules comptent les vies de leurs concitoyens, alors que je m'évertue à répéter, presque tous les jours, qu'une mort prématurée est une perte identiquement déchirante, d'un côté et de l'autre de la frontière. Il n'y a qu'à le demander aux hommes de la Croix-Rouge libanaise qui, aujourd'hui, ont porté l'un des leurs à bout de bras dans un cercueil blanc : ils étaient tous en larmes. Comme Siniora. Comme ce soldat de Tsahal dont l'image a fait le tour des journaux israéliens. Comme sans doute ce sergent de 18 ans, Andrei Brudner, israélien mort au Liban, et qui avait écrit dans son blog une phrase à laquelle je réfléchis depuis ce matin :
"Today I will be there, maybe you will read about me in the news. Many return with blood on their hands. (And now they are celebrities because Ynet wrote about them). Wish me luck".
Ce gamin, qui n'avait pas l'âge de voter aux dernières élections, était-il pour ou contre sa mobilisation ? S'il était contre, pourquoi n'a-t-il pas, comme d'autres, refusé de se battre ? Je regrette de ne pas comprendre l'hébreu pour tenter de trouver une réponse à mes questions.
A Beyrouth, demain, et dans tout ça, paraîtra le premier tirage d'un nouveau quotidien : Al Akhbar (ie, les infos). Au prix de l'achat d'un titre au Liban (entre 300.000$ et 500.000$), je ne peux que supposer que ce journal sera partisan. Par ailleurs, je me demande pourquoi le prince Walid Ben Talal n'a pas encore fait son apparition de sauveur : ce milliardaire saoudien de mère libanaise a toujours eu des visées politiques au Liban, en dépit du fait qu'il ne soit pas libanais, les femmes de mon pays ne pouvant transmettre leur nationalité à leurs enfants.
En partant, il y a deux jours, des tracts israéliens ont été balancés alors que nous attendions les bus dans le Grand Lycée Français : des papiers au format A5 qui volent par milliers au soleil de midi ressemblent à autant d'étoiles sur fond de ciel bleu. Leur contenu ne faisait toutefois pas rêver : il demandait aux habitants de Chiyah, Borj el Brajneh et Hay el Sellom d'évacuer leurs domiciles. En voici un exemplaire, tombé dans la cour où nous étions :
Aujourd'hui, les Nations Unies ont fait savoir qu'il était encore trop tôt pour s'avancer sur une date d'envoi des troupes de la FINUL. Il ne nous reste qu'à pratiquer notre sport national favori : l'attente.
De la poule et de l'oeuf, qui choisira de casser le cercle vicieux ? Réponse dans quelques heures.
De mes lectures du jour, j'ai retenu ces mots de Jean-Marie Muller :
"Aucune des parties en présence ne peut gagner la guerre. Toutes ont déjà perdu la paix".

dimanche 13 août 2006

De la 1701 à l'honneur des peuples

J'essaye de comprendre, depuis quelques jours, la subtile différence entre une "cessation des hostilités" et un "cessez-le-feu". J'ai juste réussi à savoir que la seconde est juridiquement plus contraignante que la première.
La 1701 était à peine votée, sous le chapitre VI, que je recevais déjà des emails reprenant la liste des 71 résolutions onusiennes qu'Israël n'a pas respectées. Plus tard, SHN semblait accepter la 1701 "avec quelques réserves". Le gouvernement libanais semblait également l'avoir acceptée ce soir, bien qu'il doive encore en discuter demain. Demain, le gouvernement israélien sera le dernier à faire connaître sa décision. En tous cas, l'offensive terrestre, loin de se calmer, n'en finit pas de s'intensifier, donnant raison au Hezb pour dire que "la guerre n'est pas finie". Livni affirme qu'elle s'achèvera lundi. Ghazi Aridi (Ministre libanais de l'information) a déploré que le gouvernement israélien ne se réunisse pas en ce jour de shabat, alors que Tsahal ne chôme pas sur le sol libanais. Sur la LBC, la Future et Al Jazeera, les images sont toujours aussi dures. Au JT de France 2, le bombardement du convoi de civils d'hier, tuant entre autres un homme de la Croix-Rouge (et cet "entre autres" est à chaque fois aussi terrible), est expliqué par le fait que la route soit empruntée par le Hezb. Ce type de justifications a posteriori me révolte encore, en dépit de leur occurrence pluri-quotidienne depuis un mois.
Hier soir, un avion a volé au-dessus de Paris. J'étais en ligne avec un ami : j'ai interrompu notre conversation pour attester de ce que j'entendais ; j'ai été soulagée de me faire confirmer l'existence de ce bourdonnement familier qui, ici, semble totalement déplacé.
A tous ceux qui, pour "l'honneur" qu'il redonne aux "arabes", soutiennent le Sayyed comme ils soutenaient peut-être la France de Zidane pendant le Mondial, j'aimerais rappeler qu'il ne s'agit pas, dans ce cas, d'un jeu. Certes les images sont, une fois de plus, télévisées, mais ce sont maintenant de véritables vies humaines qu'on interrompt avant l'heure. Face à la mort prématurée d'un proche, que tous ceux qui ont connu ce sentiment de douleur, d'impuissance et d'incompréhension, l'imaginent donc multiplié des milliers de fois, tous les jours, depuis un mois : voilà ce que la défense de "l'honneur arabe" signifie, en ce moment, au Liban. Pour le mot honneur, voici la définition du Robert :
"Fait de mériter la considération, l'estime (des autres et de soi-même) sur le plan moral et selon les valeurs de la société".
Pour moi, la fierté d'appartenir à une nation passe par la basilique Saint-Marc à Venise, par la place Naghsh-e Jahan à Ispahan, par une industrie solide et par des arts florissants. Certes Zidane a du talent, mais c'est la France qui l'a porté si loin, en lui permettant de développer ses capacités de sportif de haut niveau. Appartenir à un pays où les hommes, tous les jours, repoussent un peu plus loin les limites du possible, voilà la véritable fierté : moins sanglante, moins spectaculaire, et beaucoup, beaucoup plus ardue.
A la veille d'un potentiel retour au calme, la vie parisienne ne m'aide pas à réaliser toute l'ampleur des événements de ce dernier mois : il pleut, il fait 20°C, je n'ai pas goûté une seule fois aux plaisirs de la mer cet été, mais je n'arrive toujours pas à croire à tout ça. Sur l'écran de mon ordinateur, Firefox reconnaît encore les mêmes adresses web qu'il y a deux jours, mais je n'ai plus besoin de me déconnecter pour téléphoner. Je ne comprends pas pourquoi mon esprit est aussi lent à appréhender la réalité. Je réalise pourtant que, ces derniers temps, il y a beaucoup de choses que "je ne comprends pas".
Hier (mais c'était déjà avant-hier) je regardais Beyrouth s'éloigner, debout sur le pont du Mistral. Beyrouth ne fumait pas. Beyrouth avait tout l'air de se reconstruire encore, après la guerre (d'avant). Ses tours inachevées m'ont rappelé qu'elle démolit volontairement sa propre histoire, peut-être pour mieux l'occulter. Et pour mieux ressembler à Dubaï, elle construit des gratte-ciels qui rivalisent de hauteur, oubliant que Dubaï ne rêve sans doute que d'une seule chose : ressembler à Beyrouth.
Les bateaux laissent habituellement un sillon d'écume derrière eux. Le Mistral, en s'éloignant de la côte libanaise, pavait de blanc une immense autoroute qui me reliait à mon pays.
Debout sur le pont supérieur, moi, je ne rêvais que d'un chose : sauter par-dessus bord et courir jusque chez moi.

samedi 12 août 2006

SHN n'a pas franchement dit non à la 1701, ce qui peut signifier qu'il l'accepte. Il a conclu en espérant que la guerre finira bientôt.
Toutefois, il a quelques réserves sur la résolution, et prévient que les hostilités ne sont pas finies : tant que Tsahal n'arrête pas les siennes, le Hezb résiste.
A suivre.

SHN est en train de parler.
Il n'a pas l'air d'aimer la 1701, et défend le droit à la résistance.
A suivre.

vendredi 11 août 2006

wsolna

Traduction du titre : nous sommes arrivés !
A l'issue de 36h de voyage, j'ai déjà paré à l'essentiel : je me suis abonnée au pack Arabesque Silver de ma Freebox, à temps pour apprendre qu'un convoi d'aide humanitaire a été bombardé au Sud. May Chidiac et Mohammad Fatfat sont à la télé. C'est presque comme si rien n'avait changé. J'ai pourtant un petit pincement au coeur, et une vague envie de dormir, ce soir encore, dans mon autre lit.
J'ai dépouillé mon courrier, et mais pas encore mes 584 mails, ni mon carnet de notes : je reporterai bientôt ici tout ce que j'ai griffonné ces dernières heures.
En attendant, voici le déroulé du voyage en 10 points, depuis jeudi 10h am :
1. Nous avons attendu pour vérifier si nos noms étaient bien sur la liste de l'Ambassade de France (1h).
2. Nous avons attendu pour savoir s'il serait possible d'embarquer quand même (2h).
3. Nous avons attendu le bus pour aller au port (3h).
4. Nous avons attendu pour embarquer à bord du Mistral (30').
5. Nous avons attendu d'arriver à Chypre (14h).
6. Nous avons attendu pour débarquer au port de Larnaca (4h).
7. Nous avons attendu pour vérifier notre affectation aux vols sur Paris (30').
8. Nous avons attendu le bus pour aller à l'aéroport (2h30).
9. Nous avons attendu le début du check in (1h).
10. Nous avons attendu le bus pour embarquer à bord de l'avion (1h30).
4 longues heures plus tard, soit le temps d'un Paris-Beyrouth en vol direct, nous avons atterri à Roissy T3. Les libanais ont tous applaudi : les militaires français et les secouristes du SAMU, sur les 10 premières rangées, étaient tous abasourdis. J'ai beaucoup ri.
J'ai encore beaucoup de choses à raconter sur tout ce "tcho7chot" (encore un mot difficile à traduire : notion de déplacement en masse et fréquent d'un endroit à l'autre). Cette image, au flou artistique, des couchettes alignées dans le hangar du Mistral en donnera un petit aperçu.
Nous avons eu de la chance : comme nous sommes arrivés en bons derniers, nous avons eu le droit de partager notre intimité avec uniquement une vingtaine de personnes, au demeurant assez sympathiques, dans des salons convertis en chambres.
Ce soir, je tangue encore un peu et je ne ressens plus rien. Ni rage, ni colère, ni angoisse. Rien. Rien qu'une forte envie de dormir, et peut-être une vague tristesse.
Ce soir, je n'ai pas envie de parler.
Mais demain sera un autre jour. Et j'ai encore beaucoup à écrire.

jeudi 10 août 2006

Partira, partira pas

Nous sommes de retour à la maison, après un passage express au Grand Lycée Français. En dépit de nos appels répétés à l'Ambassade de France, le nom de ma mère n'était pas inscrit sur la liste des vies qui comptent.
Elle compte pour moi : je ne partirai pas sans elle.
Entre temps, le Hezb a encore lancé des roquettes sur le nord d'Israël. La réplique s'est faite dans la demi-heure : nous avons entendu deux déflagrations proches, mais différentes de celles qui touchent habituellement Dahyé. Les infos viennent d'annoncer Raouché. Reuters mentionne uniquement "la côte beyrouthine". La Future parle de l'ancienne tour d'émission de Radio Liban, à Ras Beirut (près du Collège protestant et de la Lebanese American University). Il semblerait que ce soit cette dernière qui ait raison, images à l'appui. Bombardements à Amchit, visant également l'immeuble de Radio Liban. Notre nounou est de très mauvaise humeur : elle aussi, elle en veut au Hezb, à Israël, et même au gouvernement libanais.
Quant à nous, nous tenterons d'embarquer une deuxième fois à 13h. J'ai déjà un beau tampon sur l'avant-bras droit : un grand R rouge au centre d'un cercle. Dans cette ville où, décidément, rien ne se passe comme prévu, optons pour les dictons : à la guerre, comme à la guerre et pas de nouvelles, bonnes nouvelles !

Avant de partir

20h20 : SHN est apparu, mais moins spectaculairement que les dernières fois. De son discours, je n'ai retenu que trois choses :
1. Il a demandé à ses partisans de respecter les affiliations des uns et des autres, et de ne pas heurter la sensibilité des concitoyens qui leur ont ouvert leurs portes (ie, pas de drapeaux, pas de slogans intempestifs, etc.) ;
2. Tout comme Livni, il trouve positif que l'armée libanaise se déploie à la frontière avec Israël ;
3. Il n'a pas menacé d'atteindre "Wa ma ba3da Haida, wa ma ba3da ba3da Haifa".
Il n'en reste pas moins que j'entretiens de sérieux doutes sur l'imminence d'un cessez-le-feu. Qu'est donc venu faire David Welsh, en visite surprise à Beyrouth aujourd'hui ?
A New York, les négociations s'éternisent, sans que personne ne puisse réellement en prédire l'issue. A Dahyé, les immeubles n'en finissent pas de s'effondrer. A Ashrafieh, on attend : on attend le discours du Sayyed, on attend la réunion du conseil de sécurité, et on attend (des heures) pour obtenir quelques litres d'essence. Toute la journée, on attend "que ça s'arrête", "qu'ils arrivent à un accord", "qu'on en finisse de toute cette histoire". On attend de reprendre une vie normale, on attend l'automne dont on sent déjà les premières fraîcheurs, et on attend que les écoles et les universités ré-ouvrent leurs portes. A ces 4 longues semaines d'une attente impuissante, combien d'autres succèderont ? Ici, on espère et on redoute l'avenir à la fois, dans une espèce d'oscillement permanent : je veux croire à un cessez-le-feu, je veux y croire, je veux tellement y croire, et je sais bien, en même temps, qu'il est encore lointain, qu'il est encore trop loin.
Le pont de Arqa a été bombardé pour la 4e fois : son centre s'était déjà écroulé dans le fleuve ; ses piliers ont été touchés aujourd'hui. A Masnaa, on continue de traverser le cratère à pieds.
Merci à ceux qui suivent ce blog, et à ceux qui m'ont laissé des commentaires d'encouragement. Je ferai de mon mieux, une fois à Paris, pour répondre à tous les messages que j'ai reçus. Et je continuerai ce blog, bercée par le brouhaha de la rue parisienne plutôt que par celui des moteurs et des drones israéliens, échangeant les amandes vertes contre des fruits secs, et ma nounou contre rien du tout. Mais il y a une chose que je ne regretterai pas : ma connexion modem à 31.2 Kpbs ; demain, c'est avec un plaisir immense que je retrouverai ma connexion haut débit et la LBCI sur ma Freebox.
En attendant, je n'ai toujours pas de mots pour dire ce que partir signifie : c'est plus qu'un arrachement, c'est un mélange de sentiments violents et confus que je me donne une traversée en mer pour décortiquer calmement. Depuis 24h, j'ai un noeud à l'estomac qui, avec l'aimable participation de mon cerveau, passe son temps à se faire et à se défaire.
Mais en partant, j'emporte avec moi ma détermination : aucun extrémiste, d'aucun bord, ne pourra me priver de mon pays, ni de ses amandes vertes, ni de ceux que j'aime ici. Et si je pars, exactement comme prévu, je reviendrai tout aussi certainement, exactement COMME PREVU.

mercredi 9 août 2006

SHN (comme qui commentait, Sayyed Hassan Nasrallah) a annoncé son apparition imminente sur nos écrans télévisés. Nous attendons.

Dans le noir... de nouveau

Ce soir, nous n'avons pas de courant. Comme j'avais repris la bonne habitude de charger / décharger la batterie de mon ordinateur, je me retrouve d'emblée avec un maigre 48%. Cendrillon a oublié de rentrer avant minuit.
Sur mon dernier post, un seul commentaire. J'ai l'impression que, depuis que j'ai annoncé mon départ, j'écris dans le vide : à moi qui ai pourtant toujours écrit dans le vide, ça fait un drôle d'effet ; un peu comme si je n'étais déjà plus là.
L'Ambassade de France m'a confirmé mon départ : RV jeudi matin à 9h30 au Lycée français de Beyrouth. Nous serons encore un petit millier à partir sous bonne escorte. Le départ du bateau ne se fera pas avant la fin de l'après-midi. Vendredi matin, au terme de 24h de voyage, je serai au port de Larnaca, à Chypre. Samedi, ou dimanche au plus tard, je serai dans mon (autre) chez moi, à Paris, et lundi, de retour au boulot après 3 semaines de vacances forcées. Je suis déçue de ne pas inaugurer Beyrouth-Paris en vol direct.
Aux dernières nouvelles, les discussions sont en cours à l'ONU. Blair pense qu'elles aboutiront assez rapidement à un cessez-le-feu, ce qui signifie peut-être qu'un accord est réellement imminent. Chebaa semble discutable mais non prioritaire. Dans cette histoire, je ne comprends toujours pas pourquoi Israël ne rend pas caduques les raisons d'être du Hezb : si l'on s'obstinait moins à refuser de faire jurisprudence, tous les débats sur la légitimité de la "résistance" auraient pu être clos depuis belle lurette. Aujourd'hui, si les israéliens voyaient les images du Liban Sud, des immeubles effondrés à Dahyé et de ce cortège funéraire qui a laissé tomber ses morts aujourd'hui, surpris par des bombardements tout proches, penseraient-ils encore que la violence de Tsahal est légitime ? Même l'ancienne ligne de démarcation, que j'ai découverte en 1990, n'était pas aussi gravement détruite à l'issue de 15 ans de conflit. Aujourd'hui, Amir Peretz a menacé d'élargir son offensive au-delà du Litani. En le voyant, je me suis demandé s'il savait qu'il s'affichait dans la tenue-symbole des partisans du Hezb : en veste et chemise, mais sans cravate.
Au Sud, le dernier bar de Tyr a fermé ses portes : des tracts ont appelé au couvre-feu, menaçant de prendre pour cible tout ce qui circulerait dans les rues à partir de 22h, êtres et véhicules confondus. Pourtant, Israël a encore répété qu'il ne s'agit pas de désarmer le Hezb, mais de l'éloigner de ses frontières. La seule chose vraiment claire demeure l'absence d'une ligne de front séparant nettement les belligérants.
Livni (ministre israélienne des Affaires étrangères) a demandé à Siniora de ravaler ses larmes et de prendre plutôt des mesures efficaces. Mais il faut penser aux journées de cet homme (un homme) depuis 28 jours : on peut le voir, inlassablement et des dizaines de fois par jour, discuter, convaincre, négocier, parler encore et toujours, répéter son crédo et sa volonté de voir vire le Liban, pensant déjà à re-bâtir ce qu'il s'est acharné à re-construire pendant plus de 15 ans. Livni ignore sans doute que son prénom, Fouad, est aussi l'un des plus beaux mots de la langue arabe pour désigner un organe vital : le coeur.

Loin des combats, une journaliste libanaise de l'AFP a été expulsée de Syrie pour avoir correctement traduit les propos de l'espagnol Moratinos :
"Le chef de la diplomatie espagnole Miguel Angel Moratinos a affirmé jeudi à Damas que les responsables syriens avaient 'promis d'exercer toute leur influence sur le Hezbollah' en vue de parvenir à un cessez-le-feu".
Un officiel, syrien et anonyme, a nié l'existence de tels propos.

mardi 8 août 2006

Les 7 points de Siniora

Je pense beaucoup à l'histoire de Sodome et Gomorrhe ces derniers temps. J'ai toujours cité cet exemple comme argument contre la peine de mort, surtout après avoir vu Dancer in the dark où Björk était injustement condamnée et exécutée sous les yeux des téléspectateurs nauséeux (peut-être pas tant du fait de l'histoire que de la caméra de Von Trier). Tout comme Abraham, qui avait négocié avec Dieu de préserver Sodome et Gomorrhe s'il s'y trouvait 10 justes, il m'a toujours paru plus important de sauver une vie innocente que d'éliminer une centaine de criminels. A l'heure actuelle, il semblerait que ce soit la logique inverse qui prime, sans que des négociations simplement humaines ne soient possibles avec quiconque : une poignée de combattants du Hezb tués justifient les centaines de civils morts, les centaines de milliers de déplacés et les villages entiers détruits. Je suis encore sidérée par cette phrase de Bolton, ambassadeur américain aux Nations Unies :
"One dead Lebanese, killed by Israeli bombs, is not morally equivalent to one dead Israeli killed by acts of terrorism".
Je l'ai également été par cette mention sur France 2, en direct du pays des droits de l'homme, mon deuxième chez moi : "Mais ici (ie, en Israël), on ne compte pas comme là-bas (ie, au Liban)".
Que les nations d'aujourd'hui ne produisent plus de grands hommes, c'est un fait (exemple, Churchill ; exception, Václav Havel).
Mais je ne comprends pas qu'en dépit de tous leurs moyens, elles ne produisent pas non plus de journalistes de la trempe d'Edward R. Murrow.
Voici les 7 points que Siniora a présentés à Rome (source : réseau Voltaire), et qui ont été unanimement soutenus par les ministres des Affaires étrangères arabes (incluant un Saoud el Fayçal très mou) réunis à Beyrouth ce matin :
1- Un engagement à relâcher les prisonniers libanais et israéliens par le canal du Comité international de la Croix-Rouge ;
2- Le retrait de l’armée israélienne derrière la ligne « bleue » (tracée par l’ONU entre le Liban et Israël) et le retour des déplacés dans leurs villages ;
3- Un engagement du Conseil de sécurité à placer le secteur des fermes de Chebaa sous juridiction des Nations unies ;
4- Le déploiement de l’autorité du gouvernement libanais sur son territoire au moyen de ses propres forces armées légitimes ;
5- Le renforcement des forces internationales des Nations unies opérant dans le sud du Liban en nombre, équipements, mandat et périmètre d’opérations autant que nécessaire pour entreprendre le travail humanitaire urgent et les opérations de secours ;
6- L’engagement des Nations-Unies à mettre en œuvre l’accord d’armistice signé par le Liban et Israël en 1949 ;
7- La communauté internationale s’engage à soutenir le Liban à tous les niveaux et à l’aider à supporter l’immense fardeau résultant de la tragédie humaine, sociale et économique qui l’a frappé.
A cela s'ajoute la décision de gouvernement de ce soir : envoyer l'armée libanaise au sud du Litani et, avec l'aide de la FINUL, prendre possession de toutes les armes du Hezb (décision que le Hezb semble avoir acceptée...!?). Le Ministère de la Défense a appelé les réservistes de première catégorie (j'apprends tous les jours - ie, les personnes qui ont effectué leur service militaire au cours des 5 dernières années) à se présenter à leurs casernes, le mercredi 16 août au plus tard.
Ce soir, je pardonne aux muezzins et aux cloches leurs nuisances sonores et, en gage de tolérance religieuse, je prie pour que les grands enfants au pouvoir arrêtent de faire joujou avec mon pays.
La journée a été particulièrement sanglante au Sud. Toutes les routes qui traversent le Litani sont désormais coupées : une chaîne humaine a été constituée pour transporter les caisses de MSF d'un bord à l'autre du fleuve ; un jeune libanais, torse nu et pieds dans l'eau, grimaçait et ployait parfois sous l'effort. En attendant le cessez-le-feu, Israël a imposé son couvre-feu à partir de 22h partout au sud du Litani, et a décidé d'intensifier son offensive sur les deux semaines à venir. Un immeuble a été bombardé à Chiyah, à 500m de cette Grande Maison où j'ai encore été ce soir : un nuage de fumée a temporairement caché la montagne ; plus de 2h après les déflagrations, nous entendions encore les sirènes des ambulances. Au nord d'Israël, un objet volant vaguement assimilé à un drone du Hezb a été abattu.
Les clips de Gmail se sont enfin mis au goût du jour et me proposent désormais : "Evacuation Services 4exmilitary.com - Quick and safe extraction from Lebanon by ex Brit Special Forces".
Moallem (littéralement "enseignant"), ministre des Affaires étrangères syrien et premier dignitaire en visite au Liban depuis le retrait des troupes syriennes, a été accueilli par des chahuts, hier, à Tripoli comme à Jbeil (Byblos). Il a répété 4 fois : "Les fermes de Chebaa sont libanaises". Au moment où une journaliste lui a demandé : "Au delà des paroles, pourquoi ne signez-vous pas un document attestant la libanité de Chebaa ?", il a décidé de clore la conférence de presse. L'anecdote du jour est celle de Siniora qui, tentant aujourd'hui de retenir Moallem à déjeuner, lui a dit : "Permettez-moi de faire pression sur vous... pour une fois !". Très très fin.

lundi 7 août 2006

...²

Siniora a pleuré à la réunion des Ministres des Affaires étrangères arabes.
Cet homme (un homme) vient d'afficher son humanité devant des dizaines d'autres, imbus d'eux-mêmes et de leur fierté "arabe".
Je suis admirative devant tant de courage.

...

Je pars bientôt (2-4 jours).
Je persiste à vouloir croire en un meilleur avenir. Mais depuis hier, je n'ai pas de mots pour dire mon désarroi.

dimanche 6 août 2006

Citation

انه ان قيل لي نقتل طفلاً لتنجو الارض أقول فلتخرب الأرض وينجو الطفل
هنري برغسون
S'il arrivait que l'on me demande de tuer un enfant pour sauver une terre, je dirais : que la terre soit détruite, mais que vive l'enfant.
Henri Bergson
Traduction : nadche
(mais cherche v.o. désespérément)
Les leçons du jour :
De mes lectures, une citation de Bergson.
De mes conversations, cette phrase : "Il n'y a pas de place pour l'extrémisme au Liban".
De ma soirée au Leyla, la satisfaction d'avoir convaincu quelqu'un que la mort n'est pas une bonne chose, qu'elle ait lieu de ce côté de la frontière ou de l'autre.
Des infos, ce cadavre dans un sac noir noué aux deux extrémités, soulevé par un tracteur pour être déposé dans un camion.
De l'accord franco-américain sur une résolution imminente en 9 points, la certitude qu'un cessez-le-feu est encore (trop) loin.
Du JT (France 2), la condamnation de Floyd Landis pour dopage, et son intention de faire appel.
Toujours du JT, ce camp au bord d'une plage toute proche (mais sans marée noire), un campement tout confort, avec matelas, ventilateurs, billard, ping pong, maîtres nageurs et téléphone gratuit, énorme Club Med mis en place par le très controversé Gaydamak pour les réfugiés de Haifa (qui soutiennent encore la guerre), et lui coûtant la bagatelle de 500.000$ par jour. Si ce chiffre est vrai, cet homme pourrait reconstruire mon pays en 10 jours.
Comme tous les soirs, à l'heure où je rentre me coucher, j'entends les avions au-dessus de ma ville. Plus au nord, plus au sud et plus à l'est, des maisons, des routes et des ponts sont en cours de destruction.

samedi 5 août 2006

From Mazen to UAE

Pour ceux qui s'indignent de la censure de Kerblog aux Emirats, je suggère (en accord avec Mazen) que nous remplissions ladite "Feedback Form" sur le site du fournisseur d'accès émirati. Peut-être (peut-être) que des milliers de commentaires pourraient le faire réfléchir à un changement de politique... ?
Il faut disposer d'un username / password pour enregistrer une plainte "officielle", mais il est possible d'envoyer un commentaire à partir du lien suivant :
Faisons-le, en dépit de la note de bas de page :
"Please note : You can't report a complaint in this section and if you did, your complaint resolution will take a long time and might not be directed to the relevant department".
Il semblerait que ce ne soit pas directement Kerblog qui soit visé, mais Flickr, qui héberge les dessins. Dans tous les cas, mieux vaut se plaindre que se taire.
Mazen se charge du back-up du site et de son hébergement sur d'autres sites, non censurés, eux.

Mieux vaut en rire...

Ce soir, dans cette Grande Maison où j'ai encore été dîner, nous étions 5 : 2 chiites, 2 grec-orthodoxes, et 1 sunnite ; nous avions entre 20 et 45 ans. Nous avons bavardé toute la soirée. Nous avons parlé de choses sérieuses, affiché quelques mines graves, mais surtout beaucoup rigolé. En rentrant à la maison, seule sur la route noire et déserte, j'ai pensé que c'était là le Liban que j'aimais.
A 20h, le moteur était en panne. Les radios de la Maison ne disposaient pas de batteries, ni le téléphone portable d'écouteurs (sans lesquels il semble impossible de faire fonctionner la radio). Nous avons donc allumé des bougies, et nous nous sommes confortablement installés sur le balcon, profitant du vent, des dernières amandes vertes et de l'accalmie. Il m'a fallu précisément 7 minutes pour me résoudre à rater le 20h et les images des ponts démolis.
Plus tard, j'ai quand même réussi à savoir que les réserves de fuel dureraient encore une semaine avec le rationnement actuel (12h de courant par jour, réverbères éteints, etc.) : des navires de carburant ont bien reçu l'autorisation d'accoster, mais leur propriétaire algérien a refusé de le faire sans garanties supplémentaires ; solidarité arabe, quand tu nous tiens... Le bombardement d'un centre de distribution d'eau a fait baisser la capacité du réseau de 35%. Au train des ventes actuelles, le stock national de bougies suffirait pour une quinzaine de jours supplémentaires : il n'y a plus de matières premières pour en assurer la production. Sur France 2, on ne manque pas de rappeler que les ponts détruits se situent "en zone chrétienne" : j'aimerais qu'on oublie les automatismes journalistiques de la guerre (d'avant). Aujourd'hui, 30 kurdes syriens sont morts dans des bombardements. Personne n'a crié au massacre.
Depuis ce matin, je ne sais pas quoi répondre à cette amie qui rentre à Paris bientôt, par voie terrestre jusqu'en Syrie, puis par avion à partir de Damas. Son mail de départ finissait par ces mots :
"Qu'on me prive de mon pays, c'est au-delà de la douleur. Et des analyses."
Ce soir encore, j'entends les drones et les avions dans le ciel de ma ville. Je comprends tellement bien que "ça donne faim de tuer". Mais je persiste à militer pour la vie. Et pour la paix. Même si je n'oublierai rien, je peux pas croire qu'il faille vouloir autre chose que la paix. Fût-elle glaciale. Puis, je pense au commentaire de mik sur ce blog, qui m'a laissée hilare toute l'après-midi. Grâce à lui, du Général en chef de l'armée israélienne, je répète :
"C'est un ponte anti-ponts qui compte les points des ponts qui tombent."
J'en rirai certainement encore au moment de me coucher. Tant qu'il y aura de l'humour, il me restera de l'espoir.